Joachim Maudet libère la parole pour libérer les corps

Photo Margaux Vendassi et Christophe Tonnerre

Dans Welcome, donné au Théâtre du Train Bleu, les danseurs-ventriloques Pauline Bigot, Sophie Lèbre et Joachim Maudet explorent avec humour et habileté la distorsion et la dissociation des liens entre gestes et paroles.

Sur la petite scène du Théâtre du Train Bleu, Pauline Bigot, Sophie Lèbre et Joachim Maudet attendent, immobiles, sur un carré de sol blanc et sous une lumière clinique, dans une posture qui rappelle celle des mannequins de magasins de vêtements. Leur tenue (un jean et un col roulé moulant jaune fluo pour chacune et chacun) accentue la sensation un peu étrange d’observer des personnages inanimés, dénués de singularités. Imperceptiblement, le trio se met en branle, tandis qu’une musique – un son légèrement vibratoire – les accompagne en sourdine. Le visage et le torse restant immobiles, ils vont lentement, très lentement, commencer à évoluer dans l’espace, accompagnant cette progression de paroles. D’abord murmurées, puis prononcées à voix haute, elles sont proférées sans que leurs lèvres ne remuent, la ventriloquie ajoutant au trouble et au comique de l’ensemble.

C’est ainsi, le visage toujours tourné vers la salle et arborant une expression froide et concentrée à la limite de l’interrogation, que le trio va enchaîner de lents mouvements et différents types de paroles, l’enthousiasme des intonations tranchant pour le moins avec la rigidité du reste. À la liste introductive de prénoms, qui laisse accroire que les danseurs comptabilisent les têtes connues dans la salle – l’homogénéité globale des prénoms renvoyant, on l’espère, à l’absence de mixité dans les publics fréquentant les théâtres –, succèdent d’autres situations et registres de discours, suscitant bien souvent le rire et l’incrédulité par le décalage constant. L’énumération aboutit, pêle-mêle, à un débat sur l’âge d’une des personnes citées et sur la célébration de son anniversaire, à des aboiements de chiens, à un discours érudit de trois spécialistes, ou encore à des considérations énamourées face à un animal – « Il est trop chou », « Qu’est-ce qu’il est joliiiii ».

Sans détailler par le menu toute la progression, celle-ci – accompagnée par la création lumière de Nicolas Galland qui, de froide et clinique, va évoluer vers plus de complexité – mène à un dialogue des trois langues. Les langues, oui, décident de s’échapper de leur bouche respective pour se livrer à une danse endiablée et cocasse effectuée sur une batucada. Une fois la langue (la parole) libérée, les corps vont suivre dans une chorégraphie où les spasmes disent la délivrance et l’exultation. Dans un final où la chair reprend enfin sa place, où les corps s’émancipent, le trio – qui n’avait fait jusqu’alors que se croiser – s’entremêle longuement en abandonnant les cols roulés et la rigidité qui a précédé.

Explorant, au sein de sa compagnie Les Vagues, les enjeux de la dissociation de la parole et du corps, Joachim Maudet offre avec Welcome – dont une séquence avait été joué lors du programme 2022 de La Belle Seine Saint-Denis – une proposition aussi singulière que stimulante. Si la mécanique de la parole s’enferre, ou tourne parfois un brin à vide en s’appesantissant trop sur certains types de discours (pour exploiter leur potentiel comique), le spectacle interpelle. Le trouble né du décalage entre voix et corps et la distorsion permanente des situations interrogent habilement les conventions de la danse. Alors que la danse, comme le théâtre, revendiquent dans leurs formes majoritaires l’adéquation entre personnages et mouvements, la nécessité de la construction d’un personnage et de la conscience d’un rôle, l’articulation entre sentiments, paroles et actions, Welcome prend ces attendus à revers. Au passage, l’équipe nous rappelle avec humour et intelligence à quel point les émotions comme les réflexions ressenties ne sont pas nécessairement fondées sur ces pré-requis.

Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr

Welcome
Chorégraphie Joachim Maudet
Avec Joachim Maudet, Pauline Bigot, Sophie Lèbre
Création lumière Nicolas Galland
Création sonore Julien Lafosse
Regards extérieurs Yannick Hugron et Chloé Zamboni
Coach vocal Pierre Derycke

Production Compagnie Les Vagues
Coproduction : Le Triangle, cité de la danse / Rennes, KLAP Maison pour la danse / Marseille, Le réseau des petites scènes ouvertes en partenariat avec Danse à tous les étages / Le Centre Chorégraphique de Rillieux-La-Pape, direction Yuval Pick, dans le cadre du dispositif Matières Premières / Danse à tous les étages, Rennes / Le Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil / Le Théâtre de Vanves, Vanves , mise à disposition de studios : Le Colombier / Bagnolet, Le Dancing / Val-de-Reuil, Honolulu / Nantes, Le CN D de Lyon, Le Studio Chatha – Lyon, avec le soutien de la DRAC Bretagne dans le cadre de l’aide à la création, de la Région Bretagne et de Rennes Métropole. La compagnie Les Vagues est soutenue par Danse Dense depuis 2019.

Durée : 50 minutes

Festival Off d’Avignon 2023
Théâtre du Train Bleu
du 8 au 26 juillet, à 17h05, les jours pairs

Festival International Les Brigittines, Bruxelles
les 25 et 26 août

Le Manège, Reims
le 18 novembre

La Maison de la Danse, Lyon
les 15 et 16 mars 2024

Les Passerelles, Pontault-Combault
le 27 avril

Festival Nomadanse, Brest
le 2 juin