Viviane, le passage à l’acte
Après Girls and Boys, Mélanie Leray adapte le premier roman de Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville. Avec un dispositif cinématographique inventif, elle signe un polar théâtral glaçant.
Viviane Elisabeth Fauville est une élégante quadra. Elle ressemble, a priori, à ce que l’on a coutume d’appeler « une femme sans histoire », issue d’un milieu bourgeois, salariée dans une agence de com parisienne, mère célibataire d’une petite fille. Bien sous tous rapports. Un soir, saisie par une violente crise d’angoisse et d’étranges fourmillements dans la tête, elle consulte son psy, en catastrophe. Ce dernier, au lieu de lui venir en aide, la pousse dans ses retranchements. Par incompétence ou par perversité, on ne le saura jamais. Ce qui compte c’est que ce soir-là, Viviane « passe à l’acte » : elle s’empare du couteau de cuisine qui se trouve dans son sac et poignarde son analyste. La voilà seule dans Paris, errant avec son bébé entre son appartement place Saint-Médard et le commissariat du 5e qui la convoque. Mais elle ne fait pas partie des suspects. Pas encore…
Viviane Elisabeth Fauville est un premier roman paru aux éditions de Minuit en 2012 qui fit la renommée de son autrice, Julia Deck. Mélanie Leray en a tiré une pièce de théâtre (raccourcissant son titre, Viviane), créée début 2020, brutalement interrompue par la pandémie en mars, puis malmenée par l’embouteillage des œuvres reportées. Un comble, sachant que Marie Denarnaud est responsable du tabac Girls and Boys de Dennis Kelly, auréolé du Molière de la mise en scène, des prix Laurent Terzieff du syndicat de la critique et Jean-Claude Brialy au Concours des Compagnies du Festival d’Anjou en 2019.
Mais Viviane, enfin, est de retour.
C’est un spectacle à la beauté froide, à la lisière du cinéma et du théâtre, brillant par l’inventivité de sa mise en scène et le talent de sa comédienne, mais un peu décevant par le traitement de son sujet, la folie. Dans un décor qui pourrait être un appartement spartiate ou celui d’une chambre d’hôpital, Marie Denarnaud est seule au plateau. Enfin, pas tout à fait. Une caméraman la filme en permanence, tandis que les images captées – de son visage poupon, de ses mains diaphanes, de ses longues jambes – sont projetées sur un écran au-dessus de la scène. Pendant une heure trente, elle va raconter – ou plutôt revivre – son histoire, dont les moments marquantes sont illustrées par des vidéos en noir et blanc qui s’entremêlent aux séquences en couleur filmées sur le plateau.
Au fil de son errance, on découvrira son psy diabolique, son bébé bringuebalé, son ex-mari perturbé et un duo de policiers déterminés, comme les témoins d’un fait-divers incompréhensible. Le dispositif qui croise le présent théâtral et le passé cinématographique fonctionne à merveille. Dans ce décor clinique, la comédienne a l’air d’une marionnette dépourvue de son libre arbitre et prise au piège de sa folie. L’ambiguïté narrative de Julia Deck s’en trouve relevée ; le dénouement final est d’autant plus surprenant, tandis que l’atmosphère du roman et les scènes filmées (au commissariat notamment) transpirent l’angoisse. Mais l’on reste sur notre faim quant aux raisons du passage à l’acte de la protagoniste. On sait Viviane abîmée par la rupture avec son mari, secouée par la disparition de sa mère, déboussolée par l’arrivée de sa fille, mais il manque tout de même des clefs pour comprendre son crime ; ces expériences-là (aussi douloureuses soient-elles) sont communes et les passages à l’acte peu fréquents. Cette énigme, demeurant trop importante, nous éloigne de son héroïne : l’empathie n’est guère possible. Un défaut imputable à l’adaptation, peut-être, ou à la place accordée au dispositif dans le processus créatif. Il reste tout de même la tension, le style, le jeu, la mise en scène… Autant de raisons de courir au théâtre Monfort.
Igor Hansen-Love – sceneweb.fr
Viviane, d’après le roman de Julia Deck Viviane Elisabeth Fauville
Mise en scène, réalisation et adaptation Mélanie Leray avec la participation de Claire Ingrid Cottanceau et Marie-Pomme Carteret
Avec Marie Denarnaud
Et à l’image Christian Colin, Muriel Combeau, Hafsia Herzi, Elina Löwensohn, Marcel Mankita, Philippe Marteau, Céline Martin-Sisteron, Anaïs Muller, Ronan Rouanet, Airy Routier, Jean-Philippe Vidal et le bébé, Aénor Marie Creissels Éclairagiste François Menou
Régisseur général et lumière François Rault
Conception et régie vidéo Cyrille Leclercq
Cadreuse Lara Laigneau
Conception et régie son Jérôme Leray
Musique originale Yann Crépin
Assistante à la mise en scène Lorraine Kerlo Auregan
Scénographie Vlad Turco, Alain Burkarth, Mélanie Leray
Construction Alain Burkart
Costumes Laure Maheo
Sculpture Romain de Souza
Durée : 1h30
Production : Compagnie 2052. Coproduction : MC2 : Grenoble ; Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, scène conventionnée pour le théâtre ; MCB Scène nationale de Bourges ; La Halle aux Grains – Scène Nationale de Blois ; La Comédie de Caen – CDN de Normandie ; L’Archipel – Pôle d’action culturelle Fouesnant-les Glé- nan ; La Maison du Théâtre – Brest ; CPPC – Théâtre L’Aire Libre ; Printemps des Comédiens – Montpellier. Avec le soutien de l’État – préfet de la Région Bretagne – DRAC Bretagne ; de la Région Bretagne ; de la Ville de Rennes ; du Festival d’Anjou – Prix Jean- Claude BRIALY – STREGO 2019 Cette série de représentations bénéficie du soutien financier de Spectacle vivant en Bretagne.
Le Monfort théâtre
Du 30 mars au 2 avril 2022
Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines
Les 22 et 23 novembre 2022
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