Le feu couve à Avignon. Pic de canicule, chaleur accablante, souvenir rémanent des incendies de l’an passé et des manifestations récentes… Dans le Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, Guillaume Cayet et Fanny Alvarez s’emparent de nos incandescences. Dans le cadre de la troisième série de Vive le sujet ! Tentatives, dispositif générant des propositions transdisciplinaires toujours surprenantes, leurs propositions balancent entre élan vital et auto-destruction, cirque pétaradant et récit du fascisme montant, les deux versants, sans doute, d’une même énergie.
Au début de son spectacle, extincteur braqué en direction du public, Fanny Alvarez place quelques instants le spectateur dans la position du policier face au mortier d’artifice. Petit moment de tension que relancera plus tard l’apparition d’un bidon d’essence et la quête d’un briquet. La jeune circassienne a le sourire malicieux, droit dans les yeux. Pof ! Elle balance son projectile, et c’est une pluie de bouchons d’oreilles qui arrose le public. Feu. Fanny Alvarez et ses deux acolytes, Morgane Carnet et Xavier Tabard, viennent d’arriver en kimono sur t-shirt et short de sport en nylon.
La circassienne commence alors à apporter sur scène des instruments de percussions, un, deux, trois, quatre, cinq… Au final plus qu’il n’en aurait fallu pour un orchestre symphonique. En courant, au rythme trépident de la musique percussive et électro de plus en plus énergique que produisent ses comparses, elle sort et revient sur scène les bras chargés de grosses caisses, de cymbales ; elle va chercher les baguettes tout en haut de l’échelle, qu’elle attrape par la fenêtre, marche sur les mains ; elle fait quelques grands écarts et tire des flèches au-dessus d’une perche fixée à l’horizontale par dessus de la scène. Si la proposition manque d’une acmé plus convaincante que celle de Fanny Alvarez en suspension, juchée sur une grosse caisse qui se balance en l’air et qu’elle fait sonner à son tour, Feu déploie une énergie véritablement communicative, de s’amuser comme de se révolter, suivant une composition musicale trépidante et une installation aux allures de grand bazar à la chorégraphie pourtant millimétrée. Une forme courte pleine de joie et de facéties, dans laquelle le feu intérieur de la jeune artiste se propage aux spectateurs à la vitesse d’un incendie poussé par le mistral.
Actualité hyper brûlante
Avec le spectacle précédent, Jeune mort de Guillaume Cayet, le feu était pourtant celui de la destruction. Accompagné par Antoine Briot au violon alto et Karam Al Zouhir à la musique électronique et à l’univers sonore, l’auteur y balance un texte issu des entrailles de nos sociétés que le spectateur reçoit casque sur les oreilles. Au début, argot et scène ordinaire à la sortie d’un supermarché donnent l’impression d’un retour dans les années 1980, avec ses loubards et son verlan. Fredo et Mickey, les zonards et la zonzon. Avec son asso SB, le personnage principal assiste ces perdus et perdants de la société. « La plupart c’est le manque d’amour qui les a rendus là », assène-t-il. Mais petit à petit, le récit se déporte, le personnage se précise : « Notre jeunesse est morte et nous sommes restés à jamais des fils et filles sans monde ». Ce travailleur social se révèle en fait militant d’extrême droite et il se prépare à participer à une manifestation en opposition à l’ouverture d’un centre d’accueil pour exilés. La fiction percute l’actualité hyper brûlante. On pense à Saint-Brévin, à Callac, et à tous ces projets qui rencontrent une opposition croissante et violente menée par les militants et organisations d’extrême droite, dont la montée en puissance est profondément inquiétante.
Le personnage de Cayet prend des chemins que l’on connaît – un monde qui n’offre pas de perspectives, une rage croissante qui se cristallise sur l’étranger –, mais nous emmène plus loin qu’à l’accoutumée, dans les coulisses de l’irrésistible passage à la violence et jusqu’à une chute finale ultra-percutante qui souligne les pulsions d’auto-destruction à l’œuvre dans sa trajectoire. Dans le cri mêlé d’enfant et de rage que lance le violoniste par-dessus la musique, il y a aussi tout ce qui peut se passer de mots, cette énergie vitale qui potentiellement nous consume et se renverse contre nous. Et dans les mots de Jeune mort, que l’orchestration musicale et sonore sublime, la trajectoire ordinaire d’une haine de moins en moins en sommeil, dont les braises sont à nouveau prêtes à s’enflammer.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Vive le sujet ! Tentatives – Série 3
Feu
Mise en scène Fanny Alvarez, Pierre Déaux
Avec Fanny Alvarez, Morgane Carnet, Xavier Tabard
Musique Morgane Carnet, Xavier Tabard
Costumes Frédérique Alvarez, Fabrice Ilia Leroy
Arrangements techniques Éric NoëlProduction Formica Production
Coproduction Festival d’Avignon, SACD, Archaos Pôle national Cirque, Biennale internationale des arts du cirque (Marseille), Théâtre Sorano (Toulouse)
Avec le soutien de La Grainerie (Toulouse), Communauté de Communes Sor et Agout, Groupe BekkrellJeune mort
Texte, création radiophonique, lecture Guillaume Cayet
Avec Antoine Briot, Guillaume Cayet, Karam Al Zouhir
Musique Karam Al Zouhir
Son Antoine BriotProduction Le Désordre des choses
Coproduction SACD, Festival d’Avignon, Théâtre de la Manufacture CDN Nancy-Lorraine
Avec le soutien du Théâtre Public de Montreuil CDN, Théâtre Ouvert Centre national des dramaturgies contemporaines (Paris), MC93 Maison de la culture de Seine-Saint-Denis
Guillaume Cayet est artiste associé au Théâtre de la Manufacture CDN Nancy-Lorraine
Le Désordre des choses est une compagnie conventionnée par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes et reçoit le soutien de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Puy-de-Dôme.Durée : 1h30
Festival d’Avignon 2023
Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph
du 19 au 25 juillet, à 10h30Pour Jeune mort :
Théâtre de la Manufacture, Centre dramatique national Nancy-Lorraine, dans le cadre du Festival Micropolis
du 21 au 24 mars 2024
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