Dans les années 1930, aux États-Unis, l’augmentation rapide du nombre d’automobiles entraîna la construction de nombreuses autoroutes et, avec elles, la création des stations-services. Dans chacune d’entre elles, les automobilistes, qu’il fallait fidéliser, recevaient en cadeau des cartes routières. Chaque compagnie pétrolière avait son cartographe et imprimait ses propres cartes routières. Et, pour s’assurer que ses cartes n’étaient pas copiées par les concurrents, chaque cartographe y inscrivait de fausses villes, des villes imaginaires… des villes de papier, comme une signature ou un copyright.
Au mois de janvier 2020, je rentrais à la maison avec mon fils César (11 ans) à qui j’avais raconté cette histoire, et nous sommes passés devant un campement de réfugié·es installé depuis plusieurs semaines le long du canal de l’Ourcq (Paris, XIXe). C’était un regroupement de tentes identiques, collées les unes aux autres. Du linge était suspendu sur des fils accrochés aux arbres, aux poteaux électriques, coincés entre deux pierres ou deux bouts de bois. Il y avait aussi un baril d’où sortait de la fumée… Mon fils m’a dit alors : « Tu as vu, c’est un village de papier ! » On a continué à marcher quelques mètres, en silence, et tout à coup il s’est écrié : « Non ! ce n’est pas ça… parce que, eux, ils sont là pour de vrai, mais ils ne sont pas écrits sur la carte. »
Ils ne sont pas « écrits »… en effet. Ils ne sont inscrits sur aucune carte, sur aucun papier, nulle part.
En 2020, je me suis lancée dans la création d’une série de pièces intitulées Kartographie(s). Ces pièces réunissent une trentaine d’amateur·es, habitants et habitantes des départements où elles sont créées et présentées, et quatre danseurs et danseuses professionnelles ; des femmes, des hommes, des adolescent·es et, parmi eux, des demandeurs et demandeuses d’asile. Notre souhait pour ce projet était de témoigner ensemble de la question de l’accueil des réfugié·es, aujourd’hui, en France.
À l’automne 2020, la crise a rendu difficile l’aboutissement des deux Kartographie(s) entreprises à Châteauroux d’abord, puis Orléans.
Mais le problème reste entier et je remarque que mes enfants se sont habitués à voir des personnes allongées sur les trottoirs – au risque de ne plus les voir du tout.
Je veux qu’ils apprennent à s’indigner, à dire non à cette normalisation de l’inhumanité, et qu’ils sachent que l’on peut agir, même par des gestes simples.
Avec Villes de papier, j’ai donc décidé de poursuivre cette recherche avec (presque) la même équipe, en pensant et en m’adressant cette fois à un public d’enfants à partir de 8 ans.
Karim Sylla a rejoint les danseur·ses Sonia Delbost Henry, Mai Ishiwata et Steven Hervouet. En 2003, sans rien dire, Karim a quitté sa famille parce qu’il ne voulait plus être une charge pour sa mère. Il avait alors 13 ans. Il a aujourd’hui 21 ans et commence doucement à se reconstruire, en dansant.
J’ai également demandé à l’écrivaine Violaine Schwartz, avec qui je collabore depuis 2014, de nous accompagner pour cette création, en s’appuyant sur le témoignage de Karim Sylla.
Avec Barbu Bejan, plasticien et scénographe, c’est notre première collaboration. Nous avons pensé au principe des diapositives – un support dépassé, presque oublié, qui nous a plu pour cette raison même ; non pour le côté nostalgique qu’il peut véhiculer, mais pour la « sécheresse » de son mécanisme, avec la diapositive qui arrive et qui repart, le bruit que cela produit, le grain de l’écran entre deux images… Barbu a créé des diapositives uniques, de petits tableaux qui s’alignent et se succèdent, comme pour composer des récits de voyage.
Cécile Loyer
Villes de papier
Chorégraphie : Cécile Loyer
Assistant chorégraphie :
Éric DomeneghettyInterprétation :
Sonia Delbost-Henry, Steven Hervouet, Mai Ishiwata, Karim SyllaPlasticien : Barbu Bejan
Musique : Sylvain ChauveauTextes : Violaine Schwartz d’après des entretiens avec Karim Sylla
Création lumières : Coralie PacreauRégie son : Emmanuel Baux
Production : C. LOY
Co-productions : Équinoxe – Scène Nationale de Châteauroux, Centre chorégraphique national de Tours – Thomas LebrunDurée : 45 minutes – version quatuor et 30 minutes – version duo
Maison de la danse de Lyon
du 1er au 5 octobre 2024Jeudi 30 Janvier 2025 – 20:00
Théâtre de l’Espace de Retz à Machecoul (44)Mardi 4 Février 2025 – 10:00 – 14:00
Théâtre Quartier Libre à Ancenis-St Gédéon (44) – Tournée avec Le Réseau Chainon19 et 20 mars 2025
Théâtre intercommunal d’Etampes (91) – Tournée avec Le Réseau Chainon
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