Portée avec force par Victoria Quesnel et Joseph Drouet, la nouvelle pièce du dramaturge se révèle riche de ses nuances de gris et prouve que la rupture, comme l’amour avant elle, se consomme à deux.
Un couple qui se déchire, chavire vers la rupture et s’approche du point de non-retour. Au regard de la bibliographie de Pascal Rambert, la situation initiale de Finlandia a comme un air de déjà-vu et n’est pas sans rappeler celle de son tube, Clôture de l’amour, qui, depuis sa création en 2011, n’en finit plus d’être joué à travers le monde et sera même repris à Paris, au Théâtre 14, du 23 avril au 4 mai prochain. Et pourtant, comme s’il avait voulu anticiper toute accusation de redite, le dramaturge, dès sa note d’intention, l’assure : « Ce n’est pas Clôture de l’amour. C’est pire. Pire dans ce que les êtres humains peuvent faire. Dans ce que des parents peuvent faire ». Car, dans Finlandia, une enfant se trouve au coeur de la bataille, une fillette de neuf ans, Nina, dont le père et la mère sont prêts à tout, y compris aux mots les plus durs et aux coups les plus bas, pour en obtenir la garde.
Comme Clôture de l’amour avant lui, ce nouvel affrontement conjugal prend place aux Bouffes du Nord, mais ne profite plus du plateau nu du théâtre, façon de prouver qu’il a eu une première vie avant d’atterrir ici. Alors qu’habituellement Pascal Rambert crée ses pièces en français avant de les traduire dans une ou plusieurs langues étrangères, le dramaturge a cette fois emprunté le chemin inverse. Muni de cette logique créative qu’il affectionne tant, il a écrit Finlandia pour Irène Escolar et Israel Elejalde, une comédienne et un comédien espagnols, qui ont joué, grâce à elle, à guichets fermés à Madrid. De cette expérience, Pascal Rambert a conservé un décor, une boîte scénographique, qu’il a décidé d’importer, en même temps que le texte traduit dans la langue de Molière, à Paris. S’y trouvent quelques éléments de mobilier qui reproduisent une chambre d’hôtel international dans ce qu’elle peut avoir de plus neutre, de plus banal et de plus froid. Comme le titre de la pièce l’indique, cette chambre se trouve en Finlande, et plus précisément à Helsinki, où Victoria (Quesnel) est en train de participer au tournage d’une production chinoise. Pour la rejoindre, son mari, Joseph (Drouet), s’est lancé dans un périple fou, un trajet de 40 heures en voiture entre Madrid et la capitale finlandaise. Arrivé à bon port, l’homme compte bien récupérer sa fille, située dans le même hôtel que sa mère, et, au passage, régler ses derniers comptes avec elle.
Tandis que le réveil digital affiche 3h45 du matin, le couple semble dormir à poings fermés. Soudain, Joseph se lève, allume une cigarette, fait quelques pas et ordonne, aussi brusquement que martialement, à sa femme de se lever. On comprend vite que la discussion entre ces deux individus n’en est pas à ses débuts, que leur affrontement ne fait que repartir pour un nouveau tour, pour un énième round, et que la rupture est à portée de langue. Invective après invective, reproche après reproche, le couple, usé jusqu’à la corde, ne cesse de s’entre-déchirer et, à les entendre, le combat qu’ils se livrent devant la juge pour obtenir la garde de leur enfant paraît déjà à un stade particulièrement avancé. Pourtant, au fil des minutes qui s’égrènent, une certitude se crée : si Victoria et Joseph sont près de se quitter, ils ne sont pas prêts à se quitter. Visiblement, ces deux-là s’aiment encore, mais ne peuvent tout simplement plus continuer leur route ensemble car ils sont devenus les meilleurs ennemis l’un de l’autre. Et c’est là, et bien là, que Pascal Rambert réussit son nouveau pari, différent des précédents.
Alors que ses dernières créations, de Deux amis à Mon absente, nous avait laissés sur notre faim, Finlandia est, au contraire, riche de ses nuances de gris. Loin de mimer un combat entre le camp des gentils et celui des méchants, le couple formé par Victoria Quesnel et Joseph Drouet échappe à tout manichéisme et prouve que, lorsqu’elle advient, la rupture se produit, comme l’amour avant elle, à deux. Dans les reproches qu’ils s’envoient à la figure, elle se révèle sans doute un peu trop absente, trop occupée par son travail de comédienne qui la conduit aux quatre coins du monde, trop adepte de ces minibars qu’elle préfère vider avec ses collègues de tournage plutôt que de répondre aux appels téléphoniques de son mari, et n’hésite pas, dans le flot de la dispute, à se montrer physiquement menaçante. De son côté, lui apparaît comme un mari hautement toxique, rongé par cette jalousie qui lui fait croire que sa compagne couche avec le premier homme ou la première femme venue, bassement manipulateur dans sa façon de vouloir piéger la mère de sa fille pour en obtenir la garde, violent quand l’envie lui en prend et, aux yeux de sa femme, trop conservateur dans sa conception du foyer où il régnerait en maître sur celles qui l’entourent. Dans l’emportement, elle n’hésitera d’ailleurs pas à le traiter de « fasciste », ce qui ne manquera pas de faire sortir de ses gonds cet homme de gauche adepte de Gramsci.
Surtout, Pascal Rambert parvient à démontrer que, dans une relation comme dans une rupture, tout est affaire de dynamique et que, si la présence d’un enfant rend le combat plus acharné, pour ne pas dire vital, les causes de la séparation sont, tout à la fois, endogènes et exogènes. Endogènes lorsqu’elles trouvent leurs racines dans la routine du quotidien, l’épuisement du sentiment amoureux ou la gestion, toujours délicate, d’un enfant ; exogènes lorsqu’elles puisent leurs sources dans les nouvelles attentes légitimes des femmes portées par les combats féministes de l’époque, dans les différences de richesse et de carrière, dans l’impact des réseaux sociaux qui amplifient la jalousie, dans la masculinité mal placée, mais contrariée, d’un homme qui ne supporte pas, aux yeux de la société, d’être un père au foyer. S’il avertit, alors, que le couple d’aujourd’hui ne peut plus fonctionner comme celui d’hier, le dramaturge fait aussi remarquer que la fin d’un couple ne signifie pas, en dépit d’une éventuelle politique de la terre brûlée, la disparition de tout, que les souvenirs comme les sentiments peuvent, au fond, perdurer, voire qu’il est toujours possible de faire l’amour au corps de celui ou de celle dont on déteste l’âme.
Cette confrontation de deux visions dont n’émane, avec subtilité, aucune vérité, Victoria Quesnel et Joseph parviennent, avec intensité, à la faire leur. Chez Julien Gosselin, la comédienne et le comédien avaient déjà su prouver qu’un feu intérieur brûlait en eux, qu’ils étaient capables d’habiter sans mal un plateau et d’y faire des étincelles. Là, ils profitent de la forme, plus dialoguée qu’à l’accoutumée, tricotée par Pascal Rambert pour transformer la chambre en ring de boxe. Sans atteindre la magnificence de celle de Clôture de l’amour, la langue du dramaturge se fait étonnamment simple, sans style ampoulé, ni théâtralisation à marche forcée, ce qui permet aux deux acteurs de se l’approprier pleinement et de la porter avec un jeu furieusement terrien, les deux pieds solidement ancrés dans le sol. Si leur combat se fait au mot à mot, il a alors aussi lieu au corps-à-corps, et prouve que Pascal Rambert n’est jamais aussi bon que lorsqu’il dissèque les tourments d’un couple en crise.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Finlandia
Texte, mise en scène et espace Pascal Rambert
Avec Victoria Quesnel, Joseph Drouet et, en alternance, Blanche Massetat, Anna Nowicki et Charlie Sfez
Lumières Yves Godin
Costumes Clémence Delille
Collaboration artistique Pauline Roussille
Régie générale Félix Löhmann
Régie lumières Thierry Morin
Régie plateau Antoine GiraudProduction structure production
Coproduction Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord
Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs.Durée : 1h30
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 1er au 10 mars 2024Tournée 24.25 en construction
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