Au cœur de la 7e édition du Festival Arts & Humanités donné à Points Communs, les deux artistes mozambicains Ídio Chichava et Lulu Sala présentent Vejo Anjos Que Atravessam O Sol Na Minha Sala, une pièce singulière où s’impose la forte et fertile rencontre des corps et de la matière textile et sonore.
Donner toute sa place à des « créateur·rices livrant des œuvres puissantes, offrant des visions uniques du monde et mettant en lumière les failles et la fragilité de notre société », c’est toute l’ambition et la détermination de Fériel Bakouri et des équipes de la Nouvelle Scène nationale Cergy-Pontoise / Val-d’Oise, mues par l’importance de voir émerger des artistes internationaux et des gestes scéniques prompts à rendre compte de la diversité comme des difficultés du monde, et de susciter un réel intérêt pour la découverte, l’exploration, et l’ouverture à l’Autre. Le Festival Arts & Humanités, qui programme huit performances, entre autres propositions, se veut un endroit de rencontres et d’échanges disciplinaires comme réflexifs. Sont présents cette année des artistes libanais, palestiniens, ou appartenant au Sud global : Mozambique, Brésil, Philippines, Sri Lanka. Parmi eux, Catol Teixeira, qui présente deux productions, Clashes Licking, puis Arrebentação, la chorégraphe et performeuse philippine Eisa Jocson avec Magic Maids et le metteur en scène Ídio Chichava, dont Vejo Anjos Que Atravessam O Sol Na Minha Sala fait sa première en France avant une reprise à la Biennale de danse du Val-de-Marne, au Passages Transfestival de Metz, puis à La Villette, à Paris. L’artiste, né en 1980 à Maputo, a commencé la danse au début des années 2000 dans un groupe de danse traditionnelle, avant de devenir chorégraphe et interprète. Certaines de ses créations ont été diffusées à la Biennale de la danse de Lyon, à June Events ou sur le toit de la Philharmonie de Paris.
Comme il en va souvent chez la chorégraphe Robyn Orlin, qui a vécu en Afrique du Sud durant la période de l’apartheid, la pièce d’Idio Chichava, Vejo Anjos Que Atravessam O Sol Na Minha Sala, se distingue par la longueur de son titre, qui évoque à lui seul tout un parcours, un voyage, peut-être celui d’un retour à la terre natale, « à la maison », comme le chante puissamment, et dans sa langue maternelle, le makua, le musicien May Mbira, assis en tailleur, pendant que s’installe le public alors que le spectacle a déjà commencé. L’artiste, qui chausse une paire de lunettes fluorescentes, s’installe derrière une table de mixage où il fait se combiner des atmosphères sonores lointaines et variées sur fond de musique électronique. On entre donc dans la pièce par le biais d’un concert aussi envoûtant qu’énergisant, donné dans une obscurité quasi totale. Lorsque la lumière se fait, les deux performeurs, Ídio Chichava et Lulu Sala, apparaissent dans le plus grand dénuement. D’abord de dos, chacun suivant au ralenti et à reculons le chemin droit et parallèle qui est le sien. La rencontre opère ensuite, lorsque les êtres s’apprivoisent dans la proximité de leurs corps qui se trouvent, se touchent, et s’empoignent de plus en plus organiquement.
La pièce gagne en densité notamment grâce à la dimension que prennent ces corps, doux et fracassés, de même que les quelques éléments matériels disposés sur le plateau. Par exemple, l’utilisation d’une Capulana, ce large morceau de tissu imprimé aux couleurs vives et aux motifs traditionnels typiquement africains. Utilisée par les populations pour se vêtir, elle est aussi un objet d’échange marchand. Déposée au sol ou suspendue dans les airs au moyen de harnais, l’étoffe souple et légère figure aussi bien la terre que la mer. Elle s’apparente aussi à un abri ouvert à tous les vents, et à une voûte protectrice et céleste. L’ouvrage se présente comme un monde en soi, étendu sur toute la grandeur du plateau et sous lequel les interprètes se dissimulent, roulent et s’enroulent, se débattent, s’émancipent. À l’inverse, ramassé en boule, il passe pour un gros baluchon porté au sommet du crâne.
Entre turbulences et accalmies, l’espace déployé se transforme en permanence. Il est empreint de tradition comme de modernité. La réalité de l’univers convoqué y est autant palpable que la possibilité d’imaginer et de rêver. Autre accessoire particulièrement signifiant, la couverture de survie qui évoque la migration au péril de la vie. Elle est ici détournée, utilisée comme une tunique mordorée ou en simple pagne négligemment ajusté sur des hanches mobiles et qui descend jusqu’aux chevilles. Ainsi vêtus, les interprètes singent non sans humour les poses sculpturales et les démarches outrées de mannequins de mode. La forte présence et l’énergie viscérale des artistes au service d’une danse-contact très physique épatent. L’ensemble se veut assez ritualisé et produit à la fois un effet d’étrangeté et d’envoûtement. Le spectacle ne vise pas à porter un message volontariste en recherchant l’inconfort. Avec une certaine délicatesse, et loin des nombreux clichés liés à la masculinité, il donne à voir une rencontre, profondément humaine, à travers laquelle se joue l’importance du lien. C’est avant tout une belle et sensible expérience de l’altérité qui est proposée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Vejo Anjos Que Atravessam O Sol Na Minha Sala
Conception Ídio Chichava
Création chorégraphique et interprétation Ídio Chichava, Lulu Sala
Création musicale May Mbira
Création lumière Amosse Mahoche
Scénographie Amosse Mahoche, Ídio ChichavaProduction Converge+
Coproduction CCFM ; Yodine Produções Técnicas ; Points Communs – Nouvelle Scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise ; La Villette ; Passages Transfestival ; La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne
Soutiens ONDA – office national de diffusion artistiqueDurée : 50 minutes
Points Communs – Nouvelle Scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise, dans le cadre du Festival Arts & Humanités
les 21 et 22 mars 2025BAM, Metz, dans le cadre de Passages Transfestival
le 2 avrilCentre culturel Jean-Vilar, Champigny-sur-Marne, dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne
le 8 avrilLa Villette, Paris
les 10 et 11 avril
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