Vania Vaneau n’est plus sur le plateau dans sa nouvelle création Heliosfera, mais elle dirige son quatuor vers un espace infini nimbé d’une lumière spectrale et magnifique. Voyage ultra-sensible dans des contrées inconnues avec quelques résidus d’une terre disparue.
« Pour moi, la pièce n’est pas une fin. C’est une façon d’aller chercher de la lumière, de l’air, de l’espace plus loin », nous disait Vania Vaneau à propos de Nebula, sa précédente pièce née en 2021 et qu’elle portait seule au plateau, une première après le trio de Ora (2019) et le duo d’Ornement (2016). Dans Heliosfera, elle quitte la scène et trouve cet espace « plus loin » avec quatre danseur·ses guidé·es par la lumière signée Abigail Fowler. Lee Davern, Nicolas Fayol, Steven Michel, Thi-Mai Nguyen, trois hommes et une femme – mais leur genre a-t-il une importance ? Ils ne sont que matière parmi d’autres – débarquent un par un, à pas lents, sac vissé sur le dos d’où dépasse un amas de tissu argenté, une sorte de couverture de survie.
Le milieu est hostile et doux à la fois. Des fumées s’échappent en hauteur de part et d’autre du plateau. Il faut se hisser sur un camarade pour toucher cette étrange chose, et ouvrir grand les yeux sur un monde nouveau. C’est tout l’enjeu de cet Heliosfera qui de bout en bout – exceptée la scène finale de rite, plus prévisible – instaure un rapport primitif au plateau, comme si tout ce qui s’y déroulait n’avait jamais eu lieu avant. Le son est cristallin, les voix off gutturales. La puissance de l’électro de Puce Moment et quelques effets stroboscopiques viennent même un instant amplifier le grondement de ce spectacle par ailleurs d’un grand calme. Les orages sont lointains, des bruits de machine – le roulement d’un train, les pales d’un hélicoptère, peut-être – bruissent pendant que les humains tentent de déployer leur corps. Ils redécouvrent leurs membres au contact de cette matière qu’est la lumière, centrale ici et utilisée avec une finesse remarquable. Elle traque les danseurs, les cache, leur permet de se relever, donc de renaître, les aveugle et les éclaire, les asphyxie, les rend à leurs tremblements, les mécanise, les déglingue, les rassemble, les ralentit, les effraie de manière très dissemblable. Chacun réagit différemment. Impossible de savoir ce qu’ils perçoivent.
La lumière n’est pas qu’un mirage venu du Très-Haut, comme une métaphore christique que Heliosfera n’est pas. C’est aussi une « chose ». Elle se porte et se transporte, elle est lourde et légère. Qu’elle ne soit faite que d’air ou matérialisée par des pierres translucides, les gestes sont les mêmes pour la tenir entre ses mains ou la caler sur le dos. La lumière est aussi un relais entre chacun·e, comme cette diagonale qu’elle trace et où s’aligne le quatuor qui, avec des mouvements de bras, parait, sans ce que cela ne soit figuratif, se transmettre quelque chose.
« La terre est déjà détruite », expliquait Vania Vaneau lors de la naissance de Nebula d’où cette nécessité de sonder d’autres mondes comme elle fait ici dans cet espace tellurique durant 75 minutes sans qu’aucun élément de décor ne surgisse. Dans cet ailleurs – ou un ici transfiguré par le temps et les bouleversements climatiques –, il y aurait de l’eau. On entend des clapotis, mais c’est surtout la lumière encore qui fait apparaître une ligne de mer, celle qui sépare du sable. Entre extase et abandon, danger et cocon, ces quatre explorateurs observent avec une curiosité permanente ce nouvel environnement. Jamais ils ne cherchent à le dompter et à le faire leur, contre écho à des décennies où l’homme a justement détérioré de façon inversible ce qui lui a été donné.
Complice de Jordi Gali, avec qui elle a fondé la compagnie Arrangement Provisoire, Vania Vaneau n’est pas une néophyte en matière de monde nouveau tant elle a travaillé avec l’immense Maguy Marin. Durant sept ans, elle a dansé Ha ! Ha !, Turba, May B, Umwelt, Description d’un combat, Salves… Elle fraye aussi avec Christian Rizzo – encore tout récemment dans Je vais t’écrire au musée de l’Orangerie – et poursuit ce travail de plus en plus épuré, qui touche aux merveilles lorsque, dans une séquence qui aurait pu clore Heliosfera, ses interprètes sèment de petits cailloux qui, au noir tombé sur scène, deviennent phosphorescents.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Heliosfera
Conception, chorégraphie et costumes Vania Vaneau
Avec Lee Davern, Nicolas Fayol, Steven Michel, Thi-Mai Nguyen
Création lumière Abigail Fowler
Collaboration scénographie Célia Gondol
Création musicale Nico Devos et Pénélope Michel (Puce Moment/ Cercueil)
Régie Johanna MoaligouProduction Arrangement Provisoire, avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Coproduction ICI — Centre chorégraphique national Montpellier Occitanie / Direction Christian Rizzo dans le cadre de la résidence artiste associée ; Le Quartz – Scène nationale de Brest ; CN D Centre national de la danse Lyon ; Les SUBS – lieu vivant d’expériences artistiques, Lyon ; Charleroi danse/centre chorégraphique de Wallonie – Bruxelles ; Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, direction Yuval Pick, dans le cadre du dispositif Accueil-Studio ; L’Atelier de Paris CDCN ; Les Hivernales CDCN d’Avignon ; Les Scènes Croisées de Lozère, scène conventionnée d’intérêt national, Art en territoire
En partenariat avec Le Couvent Sainte-Marie de la Tourette – Le Corbusier ; Traverse- Bagnères-de-Bigorre ; Le Pic du Midi Tourmalet Pyrénées France ; Le Pacifique CDCN Grenoble Auvergne Rhône Alpes
Avec l’aide de la SpedidamLa compagnie Arrangement Provisoire est conventionnée par la DRAC AURA, la Région AURA et soutenue par la Ville de Lyon.
Durée : 1h15
Vu en avril 2024 aux Subs, Lyon
Théâtre de la Cité internationale, Paris
les 7 et 8 octobre 2024ICI-CCN Montpellier
les 3 et 4 décembreLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
les 8 et 9 janvier 2025Bonlieu Scène nationale d’Annecy
les 16 et 17 janvier
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !