Une soirée, deux spectacles, signés par deux pointures de la scène chorégraphique actuelle, Crystal Pite et Christos Papadopoulos. Le Théâtre de la Ville braque ses projecteurs sur le Nederlands Dans Theater et présente deux petites formes, brèves et aiguisées, qui confirment la virtuosité de la troupe néerlandaise.
Dirigé par Emily Molnar, le Nederlands Dans Theater, NDT pour les intimes, est une compagnie européenne de référence et de réputation internationale qui a su évoluer au fil des décennies du ballet classique, auquel elle se consacrait exclusivement à ses débuts, vers une écriture chorégraphique plus contemporaine – notamment sous la direction de Jiří Kylián à la fin du XXe siècle – qui lui va comme un gant. Le Théâtre de la Ville l’accueille à Paris pour une soirée double, ponctuée d’un entracte, et ce programme pointu – une première française – met en lumière l’excellence de ses interprètes à travers le geste chorégraphique de deux figures incontournables de la scène contemporaine actuelle : Crystal Pite et Christos Papadopoulos.
En première partie, Solo Echo de la chorégraphe canadienne, ancienne interprète chez William Forsythe, déroge à la théâtralité baroque inhérente à ses précédentes créations. L’heure est à l’épure, au dépouillement, à la danse dans son plus simple appareil. Les sept interprètes, tout de noir vêtus, tissent sur le plateau nu un langage gestuel à mi-chemin entre le classique et le contemporain. Sur des œuvres de Brahms, danseurs et danseuses évoluent en fluidité, multipliant les poids-contrepoids, bras amples brassant l’air et jambes tournoyantes comme des compas, glissades au sol et portés non genrés – les femmes portent autant les hommes que l’inverse. L’exécution est admirable, la partition d’orfèvrerie, et, tandis que tombent sans discontinuer des nuées de flocons de neige en fond de scène, les danseur.ses dessinent dans l’espace des formes graphiques sans cesse changeantes où les corps ondulent et ondoient, résonnent les uns avec les autres. Comme une guirlande humaine de mouvements qui s’enchaînent, la chorégraphie de Crystal Pite ressemble à de la haute couture, du sur-mesure pour des interprètes d’exception, un bijou de précision et de virtuosité.
La soirée continue sous un autre jour, ou plutôt sous une autre nuit, car, si c’est sur fond noir que tombe la neige chez Crystal Pite, c’est dans la pénombre que démarre la pièce signée Christos Papadopoulos, Ties unseen. Le chorégraphe grec, passé maître dans l’observation de la nature et de sa transposition en mouvement sur nos plateaux, explore nos liens invisibles dans une partition hypnotique pour seize danseur.ses qui suit de bout en bout une même pulsation rythmique sur une composition musicale envoûtante de Jeph Vanger. Toute la chorégraphie procède d’un minimalisme de mouvement dont l’aura se propage sur la durée, la répétition et l’évolution dans l’espace. D’abord presque sur place, les interprètes, au fur et à mesure que s’étoffe et gonfle la bande-son, arpentent le plateau dans sa largeur et sa profondeur, tel un grand corps organique et fluide. Les sons comme étouffés des battements réguliers donnent la sensation d’être immergé sous l’océan, au cœur des abysses, et cette danse déliée, toute en ondulations et accents, désaxant la tête, le buste et le reste du corps, laisse apparaître l’image mouvante d’un bouquet d’algues, animé par les courants marins, bercé par le flux et reflux de l’eau qui va et vient.
C’est une danse épidermique et magnétique, une expérience optique saisissante que propose une fois de plus Christos Papadopoulos après Mycelium, sa précédente création, qui explorait déjà une gestuelle microscopique associée à des mouvements d’ensemble. Ici, les corps semblent fonctionner d’un même souffle, comme une entité collective mystérieuse, vibrante et pulsatile, aux frontières du monde végétal et animal. L’écriture chorégraphique de Christos Papadopoulos est unique et reconnaissable entre mille, sa signature une évidence. Elle participe d’un renouvellement de nos regards sur le vivant et génère des visions proches de l’hallucination.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Nederlands Dans Theater
Direction artistique Emily Molnar
Avec les danseurs du NDT 1 Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Pamela Campos, Emmitt Cawley, Isla Clarke, Matthew Foley, Scott Fowler, Barry Gans, Ricardo Hartley III, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Madoka Kariya, Genevieve O’Keeffe, Paloma Lassere, Omani Ormskirk, Kele Roberson, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon ZubykSolo Echo
Chorégraphie Crystal Pite
Avec 7 danseur.ses
Musique Johannes Brahms Allegro Non Troppo from Opus 38 in e-minor, Adagio Affettuoso of Opus 99 in f-major, Emanuel Ax et Yo-Yo Ma Sony Music Publishing
Lumières Tom Visser
Scénographie Jay Gower Taylor
Costumes Crystal Pite, Joke Visser
Répétiteurs Lucas Crandall, Emily Molnar
Durée : 20 minutesTies unseen
Chorégraphie et scénographie Christos Papadopoulos
Musique Jeph Vanger
Avec 16 danseur.ses
Création lumières Eliza Alexandropoulou
Costumes Marie Gestenberger
Assistant chorégraphique Georgios Kotsifakis
Répétitrice Francesca Caroti
Durée : 35 minutesCoproduction Ammodo
Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, Paris
du 23 au 26 octobre 2024
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