Le festival d’Automne lui consacrait un portrait rétrospective l’année dernière mais la compagnie anglaise Forced Entertainment, créée il y a 35 ans, est toujours bien vivante. La preuve : au théâtre Garonne dans le cadre de la Biennale – Festival International des arts vivants de Toulouse Occitanie, leur Under bright light, spectacle sans parole, chorégraphique et sériel, entre le jeu vidéo et l’expérience sisyphéenne, frappe les esprits et les sens.
Six chaises à l’assise en plastique marron, de volumineux cartons de déménagement, fermés, un escabeau en alu ordinaire, un bout de table de forme trapézoïdale et une cloison paravent en fond de scène, le tout sur un grand rectangle de moquette verte et rase baignée d’une lumière blanche type néon. La scène qui attend le spectateur d’Under bright light ressemble à celle d’un bureau, d’un quelconque open space – comme il en pousse dans toutes les villes, dans toutes les entreprises de service de notre monde occidentalisé – que l’on achèverait de déménager. Six personnages vêtus à l’identique, d’un bleu de travail, déboulent soudain sur le plateau, sur une musique répétitive, entêtante, à la fois gaie et entraînante, mais aussi un peu inquiétante et abrutissante, façon jeu vidéo. On se dit qu’ils auront tôt fait de tout débarrasser.
Une heure vingt plus tard : « je suis passée par plein d’émotions », « j’ai aimé mais je ne sais pas si je le recommanderais », « c’est spécial », parmi les réactions d’un public à la fois séduit et décontenancé. On ne relatera pas ici les variations dramaturgiques, à la fois rares et multiples, qui alimentent le voyage intérieur auquel conduit immanquablement une chorégraphie en boucles. Plutôt que de débarrasser le plancher, nos six ouvriers et ouvrières déplacent en effet dans des mouvements répétitifs mais jamais identiques les éléments qui attendent d’être déménagés aux quatre coins du rectangle vert. De manière répétée. Sans cesse. A l’envi. Courses entrecroisées, logiques impénétrables des déplacements et répétitions à l’identique se succèdent jusqu’au grain de sable qui dérègle tout. Puis ça repart. C’est drôle, hypnotisant, ennuyeux et parlant. On traverse Playtime, Les Temps modernes, l’humour anglais, Mario Bros et les bullshit jobs, Sisyphe, nos existences qui se répètent et le théâtre qui fait de même, la journée, la semaine, la retraite et la vie.
Au plateau, tout commence dans les diagonales et se termine dans la largeur. Les interprètes sont comme au travail, déterminés, concentrés sur leur tâche, se regardent à peine, esquissent des rivalités. Certains parfois prennent la tangente. Déménageurs, ouvriers travaillant à la chaîne tout autant qu’employés du secteur tertiaire, petits pions du grand tout, créatures électroniques, et surtout hommes et femmes comme nous, ils s’agitent avec conviction, parfois se reposent, suivent des motifs et des logiques qui nous échappent, que l’on tente de construire, de comprendre, certainement comme l’on tente de donner du sens à nos existences absurdes.
Mais tout cela vaut pour l’esprit. Car Under bright light prend au corps également. Super bande originale du compositeur Graeme Miller toute en musique électro, qui mêle boucles mélodiques, sonorités industrielles et autres variations d’atmosphères imprègnent un travail chorégraphique aussi chaotique qu’organisé, absurde que parfaitement réglé. L’ensemble est donc ébouriffant, dense, épuisant et régénérant. Une expérience, une performance, un trip, une bright light qui sonne et éblouit. En somme, qui déménage.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Under bright light
Conçu et conçu par Forced Entertainment
Direction Tim Etchells
Conçu et interprété par Robin Arthur, Jerry Killick, Richard Lowdon, Claire Marshall, Cathy Naden et Terry O’Connor
Créé avec la contribution de Nicki Hobday
Lighting Design Nigel Edwards
Compositeur Graeme Miller
Design Richard Lowdon
Production Direction Jim Harrison
Responsable technique des tournées Alex FernandesUnder Bright Light est une production de Forced Entertainment. Coproduit par : PACT Zollverein Essen, HAU Hebbel Am Ufer Berlin, Künsterlhaus Moustonturm Frankfurt.
Durée 1h20
Du 6 au 8 octobre 2022
Théâtre Garonne, Toulouse, France
dans la cadre de la Biennale de ToulouseDu 11 au 13 octobre au Théâtre la Vignette à Montpellier
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