Au FAB (Festival international des Arts de Bordeaux), le premier opus d’un collectif issu de l’éstba (École Supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine) frappe un grand coup. Spectacle dense et dépouillé où l’écriture et le jeu se font briller l’un l’autre, Un poignard dans la poche sera à découvrir lors du prochain festival Impatience.
Venant de Bordeaux, il y avait le collectif OS’O, il faudra maintenant compter avec celui des Rejetons de la Reine. Issus comme leurs aînés de l’éstba, ce groupe issu de la troisième promotion de l’établissement propose un premier spectacle prometteur qui ouvre la voie à un futur aussi radieux que celui de leurs aînés (avec lesquels certains rejetons ont d’ailleurs déjà fricoté). Comme leurs prédécesseurs, ils pourraient également trouver une première reconnaissance nationale via Impatience, festival concours de formes émergentes lors duquel ils présenteront ce Poignard dans la poche qui a selon nous ses chances d’y emporter la mise.
Comme leurs prédécesseurs également, c’est en s’appuyant sur l’un de leurs formateurs – Franck Manzoni, directeur pédagogique de l’école qui a codirigé comédiennes et comédien de ce spectacle – que le collectif a donné naissance à ce premier opus. Mais aussi en misant sur l’écriture d’un des leurs, Simon Delgrange, qui s’avère particulièrement talentueuse. Le jeu d’un côté – cette pièce offre une matière à jouer particulièrement riche et, l’on imagine, jouissive pour ses interprètes. L’écriture de l’autre, dépouillée, incisive, où chaque mot compte et coupe, qui développe un univers fantasque et baroque et emporte le spectacle dans une grande variété de registres et de dimensions. Ce sont les deux piliers d’une pièce dont la scénographie même si elle est assez minimale est tout autant stimulante pour l’imagination que belle et bien pensée.
Au centre, deux chaises, un abat-jour sur une estrade de parquet brun. Sur le côté, deux chaises, deux tables et un couvert dressé. La pièce démarre sur un des ces nièmes repas de famille qu’aura proposé le théâtre, on verra combien quand on fera les comptes. Celui-là démarre réaliste même si les interprètes des parents d’un âge semblable à celui des jeunes gens rappelle d’emblée que le théâtre est un art du fantasme de la représentation. La fille du couple, on est en 2021, vient présenter sa petite amie et l’homosexualité d’emblée n’est pas un sujet.
Répliques dérythmées, silences énigmatiques, sujets convenus meublent la gêne de ce type de première rencontre. Mais petit à petit, le repas déraille. Des répliques se répètent, sur le même ton, ou sur un autre. Se modifient dans le fond et la forme. Comme la petite amie qui était consultante et devient activiste militante. Comme ce père qui veut être le roi, pour rire d’abord, et qui petit à petit impose son joug. Dans ce déraillement de la répétition, dans cet enchaînement de scènes qui rejouent celles passées sans les effacer , dans cet empilement de saynètes où l’on repasse les plats avec un appétit grandissant, l’exubérance hilarante de Julie Papin fait merveille. En mère sur le fil, sans cesse au bord de la crise de nerfs, elle fait sentir d’entrée que tout risque à chaque moment de basculer.
Instabilité du réel. On pense à La cantatrice chauve bien sûr, côté inanité du langage. Mais aussi à de plus proches aînés. Minyana, Renaude, et plus proche encore les délires de Nicole Genovese. Plus british, Simon Delgrange évoque Crimp et Barker comme sources d’inspiration. Dans cette foule d’évocations, le jeune auteur parvient cependant sans mal à imposer son style, son écriture, avec laquelle il creuse sa propre voie. Y affleure l’époque actuelle, ses mœurs et ses préoccupations écologiques et politiques. S’y mêle l’éternelle fureur des relations familiales, son refoulé, sa violence sourde et ses béances d’amour. Un humour en fin de compte qui tape sur les convenances langagières et sociales et en même temps la revendication d’un théâtre où s’agitent les tréfonds de l’âme humaine. Le mélange fonctionne parfaitement. Le tout a été travaillé dans un aller-retour entre l’écriture et les modifications de texte qu’imposait le plateau qui permet dès cette première proposée au sein du FAB de trouver une forme très aboutie. Qui sans nul doute devrait s’épanouir encore.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Un poignard dans la poche
Texte Simon Delgrange
Jeu Jérémy Barbier d’Hiver, Clémentine Couic, Alyssia Derly, Julie Papin
Regards Simon Delgrange, Franck ManzoniProduction TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Coproduction OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine
Avec le soutien du Théâtre de Chelles, du CENTQUATRE – Paris et du Théâtre du Cloître – Bellac
Avec l’aide à la création de la Ville de Bordeaux
Remerciements TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers, Théâtre Sorano – ToulouseDurée: 1h15
TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Création du 12 au 16 octobre 2021Paris Festival Impatience 2021
Au Jeune Théâtre National
6 et 7 décembre 2021
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