Membre de l’Ensemble artistique de La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche, l’autrice et metteuse en scène Tünde Deak (qui sera notamment dans l’un des Vive le sujet! du festival d’Avignon avec la musicienne et comédienne Léopoldine Hummel) crée Tünde [tyndε]. Un spectacle où se met en jeu de manière intime les questions de l’identité et de la double culture.
Lorsque nous, spectateurs, prenons place dans la salle, ce n’est pas un rideau de scène qui masque l’accès du plateau à nos regards, mais des lettres monumentales, noires et massives : celles composant le prénom Tünde – signifiant « petite fée » en hongrois. Porté par la metteuse en scène et autrice du spectacle Tünde (prononcez « Toundè ») Deak, ce prénom fait, à sa manière, écran à celle qui le porte. C‘est cette incompréhension originelle que le personnage de Tünde (incarné avec justesse et énergie par la comédienne Florence Janas) va nous exposer au fil du spectacle. Commençant dès les premières minutes à tourner autour des lettres, elle détaille dans une adresse directe au public ce rapport complexe à son prénom, ainsi que la manière dont il déclenche maladresse, voire, bêtise chez ses interlocuteurs. Listant comment elle n’a eu de cesse d’être renommée depuis son enfance (Toundé, Tinde, Tündik, Dundee, Indra,Toundra, Kinder…), détaillant les situations cocasses – telles les blagues dont elle fut l’objet au Bénin ou « Tünde » est donné à un premier fils lorsque le père est mort – comme les quolibets fréquents, Tünde déplace progressivement les lettres. Ce sont elles qui, au fil du spectacle et de leur manipulation, architecturent l’espace, composant avec la création lumières diverses atmosphères.
Ce mouvement révèle également en fond de scène un bureau et un fauteuil. Tandis que les lettres seront le lieu investi avec humour et vitalité par la jeune femme, le bureau sera celui du père. À l’énumération des surnoms et aux stratégies pour supporter sa situation répond l’évocation du parcours du père de Tünde. Porté à la troisième personne par le comédien Geoffrey Carey, enrichi de paroles en hongrois, ce récit est celui de la vie d’un homme dont l’histoire est étroitement mêlée à la grande histoire. Né en 1942 en Transylvanie, Huba Deak fuit avec sa famille la Hongrie en 1956 suite à l’insurrection de Budapest. Après un passage en France, tous partent pour Saõ Paõlo au Brésil. Puis, le jeune homme décide de revenir en France au début des années 60 où il vivra jusqu’à l’âge de la retraite. Dans son récit se dit les difficultés auxquelles sont confrontées les immigrés : il y a celles concrètes, découlant d’un racisme latent et rendant difficile l’évolution sociale comme l’obtention de la nationalité française. Et il y a celles liées au déracinement, l’incapacité à dépasser la souffrance née de l’arrachement au pays d’origine, la persistance d’un sentiment d’étrangeté.
Dans une alternance de séquences chacun (se) raconte, leurs positions divergentes s’énonçant jusque dans leur gestion de leur prénom : si Tünde Deak ne se fera que très rarement appelée « Léa », son père décide très vite une fois en France de se faire dénommer « Étienne ». De même, là où le récit du père est chronologique, le propos de la fille est répétitif, bouclé sur l’égrenage des surnoms. Mais c’est bien dans ce paradoxe que réside l’enjeu et l’intérêt du spectacle : si l’on a le sentiment que la jeune femme est prise dans la répétition du même, elle se révèle, au contraire, en mouvement, acceptant bon an mal an ce prénom, le contournant et s’efforçant de composer avec sa double culture. Le père, lui, semble embourbé dans le passé, incapable de s’arracher à ce que sa fille nomme son « pays imaginaire », une Hongrie fantasmée qui n’existe plus. Ce n’est qu’à la fin que leur deux itinéraires parallèles se rejoignent, lorsque Huba décide de reprendre son prénom et de repartir en Hongrie. Au fil des visites que lui rend là-bas sa fille, le duo semble, enfin, nouer un dialogue apaisé.
Créé début mars 2022 à la Comédie de Valence – auquel Tünde Deak est associée – le spectacle était dans ses premières représentations encore un peu fragile. Si il importe que le texte soit intégralement maîtrisé par les comédiens pour que le spectacle puisse se déployer pleinement et si son propos – notamment cette question du « prénom-(reçu)-du-père » – aurait pu être creusé un peu plus avant, Tünde [tyndε] offre dans une forme sensible une réflexion stimulante. Dans ces trajectoires complexes se raconte l’importance de dépasser ce à quoi les autres ne cessent de vous assigner ; le racisme latent traversant la société française ; la complexité de la transmission d’une génération à l’autre ; les tiraillements liés à une double culture ainsi que la possibilité de s’inventer, loin des injonctions, une identité multiple.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Tünde [tyndε]
Texte et mise en scène: Tünde Deak
Avec: Geoffrey Carey, Florence Janas
Scénographie: Marc Lainé
Lumière: Kelig Le BarsÉquipe artistique pour la version LSF: Compagnie ON OFF
Production: La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche; Cie Intérieur/Boîte
Mise à disposition d’espace à La Comédie de Colmar, CDN Grand Est Alsace.La Fabrique de La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche
du 8 au 11 mars 2022Festival Vagamondes, La Filature, Scène nationale de Mulhouse
le 17 mars 2022La Comédie itinérante – Tournée décentralisée en Drôme et Ardèche
du 23 mars au 15 avril 2022Tournée 22-23 (en cours)
Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
du 12 au 16 octobre 2022
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