Crise existentielle, rituel méditatif, manège sensuel ou burlesque, quatre pièces (dont trois entrées au répertoire) données au Palais Garnier font traverser les états toujours contrastés et passionnés qu’explore la danse pleine d’humanité de Jiří Kylián.
Avec presque cent pièces à son actif dont la plupart ont été créées par le Nederlands Dans Theater qu’il a longtemps dirigé, le chorégraphe tchèque revient à l’Opéra de Paris dont le Ballet compte désormais plus d’une dizaine de titres à son répertoire. A l’instar de Bella Figura, Symphonies des Psaumes ou Kaguyahime, l’œuvre de Kylián ose les grands écarts de styles et de tonalités, aime le geste beau, précis, virtuose, à la fois sculptural et organique, interroge l’ambiguïté de la représentation entre réalité et illusion, et plus encore l’ambivalence des comportements et des sentiments humains. C’est tout cela qui se donne à voir et admirer dans les quatre pièces présentées cette fin d’année à l’Opéra de Paris et en direct sur POP le vendredi 15 décembre. Trois d’entre elles font d’ailleurs leur entrée au répertoire de la compagnie. Très différentes, elles contiennent néanmoins ce qui fait l’identité visuelle et gestuelle aussi épurée que contrastée de l’artiste.
La soirée commence par un uppercut. La première pièce, dont le titre paronomastique Gods and dogs fait écho à l’avancée menaçante d’un molosse projetée en vidéo et à l’animalité des corps sur scène, s’offre comme une âpre peinture de l’angoisse existentielle qui habite indubitablement l’homme au bord de l’aliénation, affrontant la vie et ses démons. Entre ombre et lumière, la pièce débute dans un cadre caverneux qui invite aussitôt à se débattre et à se dépasser. Elle déploie une force expressive implacable. L’atmosphère plus sereine et solennelle de la deuxième pièce, Stepping Stones, rompt avec la violence anxiogène de la première tout en conservant une étrangeté bien palpable. La danse plus ritualisée et contemplative est empreinte d’un mystère à l’image de son sujet. Kylián nous transporte aux origines de l’art et de la civilisation et se propose de retracer 3000 ans d’histoire. Sur les musiques aux accents orientalisants de John Cage et d’Anton Webern , et sous une pyramide flottante et surplombante, les danseurs se mêlent à trois chats égyptiens stoïques pour au contraire se mouvoir munis de boîtes de pandore contenant des vestiges précieux ou des masques d’or brillants de mille feux.
Annoncé juste avant le lever de rideau, le premier danseur Francesco Mura remplaçait Loup Marcault-Derouard dans Gods and Dogs puis Andrea Sarri dans Stepping Stones. Celui qui jusqu’ici s’est davantage illustré dans le ballet classique, s’impose dans une écriture plus contemporaine, avec un mélange de puissance physique et de vulnérabilité absolument remarquables. Longuement immobile puis soudainement lancé dans un état de torpeur intranquille et agitée, mouvement véloce, corps tout en tensions et en torsions, jeté au sol ou étiré, bouche grande ouverte hurlant la torture et la hantise, il paraît superbe d’engagement et d’intensité.
La dernière partie du programme enchaîne Petite Mort et Sechs Tänze sur des morceaux archi-célèbres de Mozart. L’humeur gracieuse et rieuse de ces pièces renvoie au courant libertin et à la Révolution qu’a connue l’époque du compositeur. Acteurs de tableaux voluptueux au cours desquels se jouent de sensuels ou plus burlesques manèges amoureux, les danseurs mis à nu puis poudrés à l’excès, se livrent à un flamboyant rituel de fleurets mouchetés, d’étreintes extatiques et de rencontres poético-drolatiques. Sur tous les tons, aussi profonds que légers, le Ballet de l’Opéra de Paris fait montre de grâce, d’harmonie et de vigueur, pour pleinement restituer toute la théâtralité, la musicalité et l’humanité de la danse de Jiří Kylián.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
Stepping Stones
Chorégraphie
Jiří Kylián
Musique
John Cage
(1912-1992)
Anton Webern
(1883-1945)Décors et lumières
Michael SimonCostumes
Joke VisserAvec
Hannah O’Neill,
Amandine Albisson,
Ludmila Pagliero,
Valentine Colasante,
Léonore BaulaHugo Marchand,
Mathieu Ganio,
Pablo Legasa,
Arthus Raveau,Naïs Duboscq,
Jack Gasztowtt,
Alexander Maryianowski,
Laurène Levy,
Alexandre Gasse,
Daniel Stokes,
Nine Seropian
Clémence Gross,
Grégory Dominiak,
Caroline Osmont,
Andréa SarriGods and Dogs
Entrée au répertoireChorégraphie
Jiří KyliánMusique
Dirk P. Haubrich
(1966)
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)Décors, costumes et conception musicale
Jiří KyliánCostumes
Joke VisserLumières
Kees TjebbesAvec
Valentine Colasante,
Silvia Saint-Martin,
Francesco Mura,
Hohyun Kang,
Loup Marcault-Derouard,
Marion Gautier de Charnacé,
Julien Guillemard,
Florent Melac,
Caroline Osmont,
Lydie Vareilhes,
Takeru Coste,
Mickaël Lafon,
Nine Seropian,
Apolline Anquetil,
Andréa Sarri,
Nikolaus TudorinPetite Mort
Entrée au répertoireChorégraphie
Jiří KyliánMusique
Wolfgang Amadeus Mozart
(1756-1791)Décors et lumières
Jiří KyliánCostumes
Joke VisserAvec
Valentine Colasante,
Léonore Baulac,
Mathieu Ganio,
Bleuenn Battistoni,
Silvia Saint-Martin,
Arthus Raveau,
Pablo Legasa,
Aubane Philbert,
Alice Catonnet,
Hugo Vigliotti,
Yvon Demol,
Jennifer Visocchi,
Max Darlington,
Milo Avêque,
Clémence Gross,
Lydie Vareilhes,
Alexander Maryianowski,
Alexandre Gasse,
Jack Gasztowtt,
Naïs Duboscq,
Hohyun Kang,
Florent Melac,
Laure-Adélaïde Boucaud,
Lucie Devignes,
Grégory DominiakSechs Tänze
Entrée au répertoireChorégraphie
Jiří KyliánMusique
Wolfgang Amadeus Mozart
(1756-1791)Décors et costumes
Jiří KyliánLumières
Joop CaboortAvec
Pauline Verdusen,
Alice Catonnet,
Takeru Coste,
Yvon Demol,
Éléonore Guérineau,
Victoire Anquetil,
Julien Guillemard,
Mickaël Lafon,
Saki Kuwabara,
Eugénie Drion,
Hugo Vigliotti,
Isaac Lopes Gomes,
Hortense Millet-Maurin,
Koharu Yamamoto,
Rubens Simon,
Manuel GarridoLes Étoiles, les Premières Danseuses, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra
Musiques enregistréesAvec le soutien exceptionnel de Aline Foriel-Destezet
Durée 2h05 avec 2 entractes
Palais Garnier
du 08 au 31 décembre 2023
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