Eric Vigner soumet le monument littéraire (Béroul) et musical (Wagner) qu’est Tristan à un traitement fort personnel et distancié défendu par une jeune troupe d’acteurs. L’auteur, metteur en scène, scénographe et costumier redonne sa pièce créée en 2014 qui laisse interrogateur quant à sa perception du mythe.
L’ancien directeur du Théâtre de Lorient croit-il avoir inventé l’eau chaude en voulant montrer que la valeur d’un mythe réside dans son universalité ? Comme bien d’autres histoires ancestrales et légendaires, Tristan et Yseult atteste de sa pertinence associé à tout temps et tout espace. Aussi, convoquer pêle-mêle le 11 septembre 2001, les deux guerres en Irak, les femmes enlevées en Afrique et vendues comme esclaves, l’Holocauste, les migrants, Guantanamo et Gaza, Anders Breivik et Mohamed Merah (entre autres mille références et amalgames) s’apparente à offrir un vain catalogue de potentialités intuitives de représentation mais sans les exploiter. Le spectacle brasse insatiablement les époques, les lieux, les styles, les genres, les langues et donne une impression d’hétérogénéité improductive et boursouflée.
Quelle lecture, quel point de vue le Tristan de Vigner propose-t-il du mythe ? Une ode à la jeunesse éperdue et au triolisme exaltée, une vision adolescente et romantique du couple tragique transformé en amants maudits vêtus de cuir et de strass. Ainsi la beauté clichéique de leurs corps minces, leur chevelure blonde et leur peau blanche viennent contrecarrer le catastrophisme ambiant surindiqué par la scénographie : une béante boite noire froidement éclairée aux néons représentant un univers déliquescent et apocalyptique. Saint-Jean figure au même titre que Duras, Claudel, et Maeterlinck au rang des nombreuses inspirations qui ont nourri l’écriture.
Sans amour, sans espoir, les héros campés par Zoé Schellenberg et Mathurin Voltz brillent de mille feux mais entretiennent un rapport anxiogène et effrayé au monde. Plus ténébreux, le roi Marc d’Alexandre Ruby se présente comme un hipster métalleux portant le kilt. Yseult est touchante et expansive, Tristan plus taciturne. On peine d’ailleurs à identifier la vaillance du chevalier tueur du Morholt sous les airs d’un anti-héros aussi fébrile et effacé. Présenté comme un personnage complexe, Tristan est « un enfant de la mort qui ne voulait pas vivre« , orphelin dès sa naissance, jeune homme secret mais esprit fort, « fucking bastard » de terroriste ou engagé humanitaire en Albanie, retrouvé par les officiers de la marine nationale sur une barque échouée, il ne manque pas de facettes mais bien de consistance.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Tristan
texte, mise en scène, décor, costumes — Éric Vigner
collaboration artistique — Olivier Dhénin, Johanna Weiss
lumière — Kelig Le Bars
son — John Kaced
maquillage — Anne Binois
assistant à la mise en scène — Olivier Dhénin
avec Bénédicte Cerutti, Matthias Hejnar, Thomas pasquelin, Alexandre Ruby, Jules Sagot, Isaïe Sultan, Zoé Schellenberg.
Production
CDDB – Théâtre de Lorient/Centre Dramatique National ;
Théâtre National de Bretagne – Rennes.
Avec la participation du Jeune Théâtre National
Durée: 1h35T2G, Gennevilliers
Du 21 au 26 février 2017
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