La venue en France de la derniĂšre crĂ©ation de Paula GonzĂĄlez Seguel, Trewa, Ătat-nation ou spectre de la trahison, est un Ă©vĂ©nement non seulement pour la lutte de la communautĂ© mapuche au Chili, mais aussi pour le thĂ©Ăątre. Le festival Sens Interdits Ă Lyon, qui a organisĂ© sa tournĂ©e, clĂŽt avec lui son beau focus chilien.
Au festival Sens Interdits Ă Lyon, le bruit court : il faut Ă tout prix voir Trewa, Ătat-nation ou spectre de la trahison du Kimvn Teatro, crĂ©Ă© et dirigĂ© par lâautrice, metteure en scĂšne et actrice Paula GonzĂĄlez Seguel. Patrick Penot, le directeur du festival, est pour beaucoup dans la diffusion de la rumeur favorable, mais il nâest pas le seul. Accueillie pour la premiĂšre fois en 2011 Ă Lyon pour la trĂšs internationale biennale avec sa premiĂšre crĂ©ation Ći pu tremen, lâartiste a pu y montrer son engagement pour le peuple Mapuche au Chili, auquel elle appartient, et sa capacitĂ© Ă en faire thĂ©Ăątre. Dans cette piĂšce prĂ©cĂ©dente, elle affirmait dĂ©jĂ son dĂ©sir dâun thĂ©Ăątre militant basĂ© sur le tĂ©moignage mais qui le dĂ©passe, dâune dramaturgie oĂč rĂ©el et magique communiquent sans cesse. Elle posait pour cela un geste ample, ambitieux : elle rĂ©unissait cinq gĂ©nĂ©rations de femmes qui, lit-on sur le site de Sens Interdits, « pendant quâelles filent la laine ou font infuser le matĂ©, nous disent avec beaucoup de dignitĂ© la difficile survie de leur culture et de leur peuple ».
Trewa, Ătat-nation ou spectre de la trahison rassemble de nouveau une trĂšs importante distribution, ce qui contribue pour beaucoup Ă faire de sa venue en France un Ă©vĂ©nement. Dâautant plus Ă une pĂ©riode oĂč la pandĂ©mie nâest pas encore tout Ă fait du passĂ©. Dans cette piĂšce crĂ©Ă©e en 2019, qui nâa pu se jouer que quelques fois avant dâĂȘtre arrĂȘtĂ©e par le soulĂšvement social contre les inĂ©galitĂ©s qui a dĂ©bouchĂ© cette annĂ©e sur la rĂ©daction dâune nouvelle constitution, les Mapuche sont de nouveau prĂ©sents en nombre. Ils sont pas moins de vingt-et-un, dâĂąges aussi divers que dans la premiĂšre piĂšce du Kimvn Teatro. Le plus jeune, qui ouvre la piĂšce et ne dira pas un mot de toute sa durĂ©e, a peut-ĂȘtre six ans. La plus ĂągĂ©e, Elsa Quinchaleo, a sans doute huit dĂ©cennies de plus que lui. Elle ne parlera guĂšre beaucoup plus : le silence, dans Trewa, relie les ĂȘtres autant voire davantage que la parole.
La cause de ce silence est rapidement posĂ©e par les personnes prĂ©sentes sur la table, qui trĂŽne Ă cour au milieu dâun dĂ©cor rĂ©aliste dâintĂ©rieur plutĂŽt rustique. Si certains se taisent, et que dâautres au contraire parlent beaucoup, trop parfois et dans dâĂ©tranges directions, câest quâune femme vient de mourir : la mĂšre de lâenfant muet et dâun autre plus ĂągĂ©. LâĂ©pouse dâun homme qui dĂ©cide de venger sa mĂ©moire, de la faire reconnaĂźtre comme victime de son combat contre lâinstallation dâun barrage au Sud du Chili, sur les terres mapuches. Le nom de cette femme est cĂ©lĂšbre parmi le peuple mapuche : il sâagit de la militante Ă©cologiste Yudith Macarena ValdĂšs Munoz, tuĂ©e en 2016 dans des circonstances troubles.
Durant les deux ans et demie de recherches quâelle a menĂ©es pour cette crĂ©ation, Paula GonzĂĄlez Seguel sâest intĂ©ressĂ©e de prĂšs Ă la vie de cette Ă©niĂšme victime des multiples violences subies par le peuple Mapuche. Ă commencer par la perte dâune grande partie de ses terres Ă la fin du XIXĂšme siĂšcle, du fait de la colonisation par le gouvernement chilien. Trewa, Ătat-nation ou spectre de la trahison nâest pourtant une reconstitution de la protestation causĂ©e par le meurtre. Il ne sâagit pas, pour les comĂ©diens et musiciens au plateau, de documenter la douleur des proches de la disparue, ni mĂȘme celle du peuple Mapuche. Ă partir du drame en question, Paula GonzĂĄlez Seguel et ses interprĂštes composent leur propre famille. Une famille de thĂ©Ăątre, qui tout en jouant le combat des proches de Yudith Macarena ValdĂšs Munoz pour la justice affirme fortement son geste de reprĂ©sentation, sa distance par rapport Ă lâobjet quâelle porte Ă notre connaissance.
Moment culminant de la piĂšce, le rituel auquel se livre la petite communautĂ© pour demander au ngen mapu (esprit mapuche propriĂ©taire et protecteur de la terre) lâautorisation dâexhumer le corps de la militante, de le dĂ©terrer pour faire Ă©clore la vĂ©ritĂ© offre aux acteurs la possibilitĂ© de se confondre presque entiĂšrement avec leurs personnages. Il montre Ă quel point, pour la compagnie ainsi que sans doute pour bon nombre dâartistes mapuches et issus dâautres nations premiĂšres, le sacrĂ© fait partie du thĂ©Ăątre. De mĂȘme que la nature, dont lâesprit est prĂ©sent sur scĂšne en mĂȘme temps que celle des morts. Tout en adoptant des codes thĂ©Ăątraux susceptibles dâĂȘtre compris partout, le Kivm Teatro dĂ©veloppe ainsi un langage, une esthĂ©tique dâune grande singularitĂ©, qui fait Ă©cho Ă bien des inquiĂ©tudes contemporaines. Y compris en Occident oĂč Trewa rĂ©sonne avec force, comme lâa prouvĂ©e sa venue au ThĂ©Ăątre Jean Vilar Ă Vitry-sur-Seine le 24 octobre, en amont de Sens Interdits. NĂ© sous lâinitiative de la directrice du lieu Nathalie Huerta, le dialogue entre lâartiste en rĂ©sidence MĂ©tie Navajo et Paula GonzĂĄlez Seguel menĂ© Ă lâissue du spectacle tĂ©moigne de la capacitĂ© de celui-ci Ă dialoguer avec le monde.
AnaĂŻs Heluin – www.sceneweb.fr
TREWA
mise en scĂšne et dramaturgie Paula GonzĂĄlez Seguel / Kimvn Teatroavec Amaro Espinoza, Benjamin Espinoza, Constanza Hueche, Norma Hueche, Vicente Larenas, Francisca Maldonado, Juan Carlos Maldonado, Hugo Medina, Rallen Montenegro, Elsa Quinchaleo, Paula ZĂșñiga
direction musicale, flĂ»te traversiĂšre, cuatro venezolano, ron roco, cuenco et chĆur Evelyn GonzĂĄlez Seguel
chant et percussions latino-américaines Nicole Gutiérrez Perret
violon et chĆur Sergio Ăvila
cordes latino-américaines Juan Flores
violoncelle et chĆur Ăngela AcuñarĂ©gisseur son Ivan GonzĂĄlez
scénographie Natalia Morales Tapia
assistanat Ă la mise en scĂšne Andrea Osorio Barra
construction du décor les ateliers du TNPspectacle en espagnol et mapudungun surtitré en français.
production déléguée Europe Festival Sens Interdits
coproduction Centro de Estudios Interculturales e IndĂgenaâââCIIR
financement Ministerio de las Culturas, las Artes y el Patrimonioââ FONDART NACIONALââ Trayectoria ArtĂstica
coréalisation Festival Sens Interdits et Théùtre National Populaire
avec le soutien de lâOffice National de Diffusion ArtistiqueDurĂ©e : 1h30
THĂĂTRE JEAN-VILAR
DIMANCHE 24 OCTOBRE – 17HThĂ©Ăątre Durance (ChĂąteau-Arnoux-Saint-Auban) â 20 octobre
ThĂ©Ăątre Vitry sur Seine â 24 octobre
Festival Sens Interdits 2021 au TNP de Villeurbanne
jeudi 28 octobre et vendredi 29 octobre 2021
Petit thĂ©Ăątre âą salle Jean-BouiseScĂšne Nationale du grand Narbonne â 9 novembre
LâEstive, ScĂšne Nationale (Foix) â 12 novembre
ThĂ©Ăątre Michel Portal (Bayonne) â 16 novembre
ThĂ©Ăątre MoliĂšre, ScĂšne Nationale de SĂšte â 19 novembre
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