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« Toutes les villes détruites se ressemblent », penser sur les ruines

A voir, Bruxelles, Gennevilliers, Les critiques, Théâtre
Magrit Coulon et Bogdan Kikena créent Toutes les villes détruites se ressemblent au T2G Gennevilliers
Magrit Coulon et Bogdan Kikena créent Toutes les villes détruites se ressemblent au T2G Gennevilliers

Photo Dominique Houcmant-Goldo

Magrit Coulon et Bogdan Kikena installent leur Musée Européen de la Mémoire Et de la Destruction au T2G, et auscultent avec justesse, pertinence et juste ce qu’il faut de malice théâtrale notre rapport complexe à la mémoire.

Celles et ceux qui connaissent le « Salon » du T2G n’y retrouveront pas leurs marques. Du mobilier qui occupe habituellement cet espace situé au premier étage du Théâtre de Gennevilliers, point de passage incontournable pour atteindre les salles de spectacle, Magrit Coulon et Bogdan Kikena ont fait table rase. En lieu et place des quelques fauteuils disséminés d’ordinaire çà et là, les deux artistes belges ont installé un gradin, avec plusieurs rangées de sièges blancs, orientés vers trois lourdes portes doubles, comme autant d’interfaces vers d’autres espaces. En chemin, ils ont procédé par soustraction et ôté tous les éléments d’indications muraux pour ne conserver qu’une modeste horloge, un plot avec une chaîne hi-fi et trois chaises, dont deux sont occupées par Maya (Lombard) et Pascal (Jamault). D’abord mutiques, dans l’attente, les deux comparses en polo vert s’imposent bientôt comme les gardiens du MEMED, le Musée Européen de la Mémoire Et de la Destruction, qui fait halte à Gennevilliers. Avec sa « salle des débris », qui offre un joli panorama des meilleures ruines pillées dans différents endroits du monde, sa « salle de la destruction », qui promet de faire revivre le cataclysme, sa « salle des récits », qui propose d’écouter des témoignages de personnes qui ont vécu la destruction, et sa « Mona Lisa » maison, cette collection de statues de cire alignées en rangs d’oignons – qui ne sont autres que les spectatrices et spectateurs – où trônent, pêle-mêle, Franco, Hilter, Poutine et Léopold II, ce musée itinérant a longtemps fait recette. De Paris à Bruxelles en passant par Cracovie, les visiteuses et les visiteurs affluaient, et faisaient même la queue, pour venir découvrir les trésors de cette institution singulière. Oui, mais voilà, depuis le retour de la guerre en Europe, explique le tandem, le flux s’est tari, jusqu’à s’interrompre totalement.

Dépité de voir leur musée ainsi déserté, le duo s’emploie pourtant à le faire (sur)vivre : Maya répète, et peaufine, le petit laïus de sa visite guidée, Pascal s’arme d’un micro et d’une petite enceinte lumineuse montée sur roulettes, et s’aventure dehors pour essayer d’aguicher le chaland. À l’en croire, certaines et certains se montrent d’ailleurs intéressés, mais, au grand dam de Maya, personne ne franchit jamais les portes. Alors, mû par une relation étrange où la dureté de l’une s’entrechoque avec la bonne volonté de l’autre, le tandem tue le temps comme il peut. Maya éponge sa nostalgie des temps glorieux en écoutant des chansons tristes ; Pascal cultive son obsession des nazis, qu’il voit jusque dans les moindres recoins, en récitant la liste des camps de concentration ; ensemble, ils se réapproprient des airs d’opéra pour rejouer l’histoire de la baleine de Villerville ou se lancent dans un jeu de devinettes aux règles inflexibles. Comme dans tout lieu où le désoeuvrement l’emporte sur l’action, leurs esprits apparaissent parfois au bord de la surchauffe, à la lisière de la folie, se dit-on, obsédés par cette poussière qu’ils détectent partout, par cette saleté qui coloniserait à leurs yeux l’espace pourtant immaculé, et même par un simple trou dans le mur, qui se transforme en centre d’attention. En réalité, le duo semble pétri par les mots de la comparatiste Catherine Coquio qui, dans Le mal de vérité ou l’utopie de la mémoire (Armand Colin, 2015), écrivait : « La Mémoire est-elle le spleen d’aujourd’hui ? Le passé est notre croyance. Serait-il notre seul espoir ? ».

Et c’est là, et bien là, dans l’auscultation de notre rapport pour le moins complexe à la mémoire, que Magrit Coulon et Bogdan Kikena font mouche, et voient juste. Alors que, depuis son premier spectacle, Home (morceaux de nature en ruine), la jeune artiste belge se passionne pour l’exploration des ruines sous toutes leurs formes, elle se met aujourd’hui à les penser, à analyser la relation d’attraction-répulsion que nos sociétés entretiennent avec elles et, à travers elles, avec notre passé commun. Dans une Europe qui, après avoir consommé les dividendes de la paix, et même cru, un temps, à la fameuse fin de l’Histoire, a vu la guerre faire un retour fracassant sur son sol avec le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les citoyennes et les citoyens semblent frappés d’une forme d’amnésie volontaire, et dangereuse, qui ouvre la porte à l’éternel retour du même, à une redite des pires heures de l’histoire contemporaine – dont le repli nationaliste des peuples actuellement en cours est le premier symptôme. À cette aune, la désertion qui frappe le MEMED – concomitante avec un retour de la guerre – apparaît comme une allégorie, hautement pertinente, du désintérêt collectif des masses pour leur propre histoire, de laquelle il devient alors impossible de tirer les leçons. En parallèle, Magrit Coulon et Bogdan Kikena soulèvent un paradoxe lié au pullulement des politiques mémorielles – qui, toujours selon Catherine Coquio, ont remplacé « l’action politique » – et à la fascination pour les ruines, aussi appelée ruin porn, que Robert Thalheim avait parfaitement pointée du doigt, en 2007, dans son film Et puis les touristes au sujet du tourisme mémoriel à Auschwitz, et que le tandem belge dénonce à son tour avec son MEMED, où les salles ressemblent à une collection d’attractions aux atours sensationnalistes, construites autour d’un vulgaire son et lumière et d’un assemblage de reliques, parfois morbides, pillées sur les zones de conflit – comme les vitrines des musées occidentaux en regorgent –, et objets d’une douteuse, honteuse et regrettable marchandisation.

Intellectuellement stimulante, cette virée en terrain mémoriel se révèle théâtralement savoureuse dans la façon malicieuse qu’ont Magrit Coulon et Bogdan Kikena de mêler gravité et légèreté, concret et absurde, substance et humour. Rappelant tantôt des personnages à la Philippe Quesne – ici privés d’utopie –, tantôt les compères du Des caravelles et des batailles d’Éléna Doratiotto et Benoît Piret, Maya et Pascal réussissent à faire sourire grâce à leurs frasques compensatoires, mais aussi à émouvoir dans leur manière d’y croire mordicus, encore et toujours, de ne rien lâcher (ou presque), d’alimenter l’espoir, pourtant vain, d’un retour des jours heureux. Finement dirigés par Magrit Coulon, leurs deux interprètes parviennent, y compris à travers leur langage corporel, par un simple changement de posture ou d’expression sur leur visage, à s’imposer en miroir inversé l’un de l’autre, à traduire leurs pensées intérieures et leurs sentiments auxquels une voix off nous donne accès, à montrer l’impact d’un trop-plein de culture mémorielle, d’un surplus de nostalgie historique, sur les corps et les esprits, respectivement statufiés et pétrifiés dans un présent qui ne passe plus à force d’avoir été lesté par les boulets du passé. Ce fin équilibre entre noirceur et lueur, absence et surcharge, Magrit Coulon et Bogdan Kikena le tiennent brillamment de bout en bout, et, au sortir, à l’image de ses deux gardiens, on ne veut pas croire à la fin annoncée du MEMED, qui résonnerait, pour nous, comme pour eux, comme un mauvais signal pour le devenir de notre civilisation tout entière.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Toutes les villes détruites se ressemblent
Conception Magrit Coulon, Bogdan Kikena
Avec Jules Bisson, Pascal Jamault, Maya Lombard
Écriture et dramaturgie Bogdan Kikena
Mise en scène et son Magrit Coulon

Production Nature II
Coproduction Théâtre Océan Nord, Bain Public Saint-Nazaire
Soutien Pro Helvetia — Fondation suisse pour la culture, Organe genevois de répartition de la Loterie romande
Avec l’aide de Fédération Wallonie-Bruxelles Service Théâtre, Wallonie-Bruxelles International, Wallonie-Bruxelles Théâtre Danse
Avec le soutien de La Chaufferie-Acte1, le Festival de Liège/Factory, Un Festival à Villerville, la Fabrique de Théâtre, le Bocal, le BAMP, le CENTQUATRE, le Centre Wallonie-Bruxelles Paris, Bain Public Saint-Nazaire

Durée : 1h

T2G, Théâtre de Gennevilliers
du 22 au 26 mai 2025

XXXI International Design Seminar, Monte Carasso (Suisse)
le 8 juin

Théâtre National, Bruxelles (Belgique), dans le cadre du Festival Scènes Nouvelles
du 4 au 7 novembre

24 mai 2025/par Vincent Bouquet
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