À presque 40 ans, le metteur en scène prend la suite de Célie Pauthe à la tête du CDN de Besançon Franche-Comté et entend faire de ce lieu une fabrique au service des artistes.
Après dix années passées en compagnie, vous avez décidé de prendre la tête d’un lieu. Était-ce le bon moment pour vous ?
Tommy Milliot : Ces derniers temps, je me suis interrogé sur mon parcours et sur l’endroit d’où je venais. D’un point de vue personnel, rien ne me prédestinait au théâtre : ma mère était ouvrière dans le textile et mon père travaillait dans le bâtiment. J’ai découvert le théâtre par l’institution, grâce à l’école, mais aussi grâce au CDN de Béthune auquel je suis aujourd’hui artiste associé. De par mon histoire, je suis très attaché à la démocratisation culturelle, et je crois qu’il est temps, à presque 40 ans, de défendre encore davantage cette valeur et de la transmettre à mon tour. L’idée de démocratisation et de décentralisation qui anime les CDN est, certes, imparfaite, mais j’ai envie de me battre pour la défendre. J’ai bien conscience que le théâtre ne changera pas le monde, mais je crois qu’il peut apaiser certaines tensions et favoriser les liens intergénérationnels et l’inclusion.
Votre désir se portait-il spécifiquement sur le CDN de Besançon Franche-Comté ou votre idée était-elle, avant tout, de diriger une maison ?
Tout au long de mon parcours artistique, j’ai été accueilli sur des territoires dont je n’étais pas originaire, comme Lorient où, au sein de l’Académie internationale de théâtre créée par Éric Vigner, j’ai pu passer trois ans, et Marseille, où j’ai bénéficié du soutien du festival Actoral, puis de La Criée. À chaque fois, j’ai aimé travailler au contact d’endroits que je connaissais pas et aller vers des publics différents. Avant ma candidature pour le CDN de Besançon, je n’avais postulé nulle part ailleurs, et je n’ai jamais eu la volonté de « prendre un CDN » pour « prendre un CDN ». La dimension rurale de la région Bourgogne-France-Comté m’intéresse, tout comme l’histoire sociale et de luttes de la ville de Besançon. Quant au CDN en tant que tel, il s’agit d’une structure à taille humaine, avec seulement dix-huit permanents et une salle unique. Cela permet d’avoir une forte proximité avec les publics et d’y développer un projet à la fois chaleureux et convivial.
Pourriez-vous en dévoiler les grandes lignes ?
Comme dans tout CDN, il s’agira d’abord de remplir le cahier des charges qui m’est imposé. Je souhaite mettre à disposition d’artistes de générations et de nationalités différentes, et avec des esthétiques variées, une possibilité de créer, et faire de ce lieu une fabrique artistique qui accorde du temps aux artistes, les aide à diffuser leur répertoire et rende la création visible. Les artistes pourront ainsi venir à Besançon pour présenter leur nouveau spectacle, mais aussi pour dévoiler un fragment de leur prochaine oeuvre. Je me suis entouré de trois artistes associés – Héloïse Desrivières, Marcus Lindeen et Marianne Ségol-Samoy – avec une approche singulière de l’écriture, et chacun pourra bénéficier d’une permanence artistique. Mon idée n’est pas d’offrir simplement aux artistes un temps de plateau pour finir un spectacle, mais de leur proposer un réseau d’accompagnement qui répondra à leurs besoins spécifiques, comme la structuration de leur compagnie ou la création d’une scénographie.
Je souhaite également ouvrir le théâtre à la jeunesse, par le biais de la programmation, bien sûr, mais également avec des projets de transmission. En partenariat avec la Comédie-Française, qui dispose déjà de son Jeune Bureau, j’ai choisi de créer un Bureau des jeunes lecteurs et lectrices qui permettra à des jeunes âgés de 15 à 20 ans de participer à des ateliers d’écriture et de travailler sur les oeuvres de la saison en écrivant ou en rencontrant des artistes. À travers l’expérience du Français, j’ai déjà pu observer comme fonctionne cette chose-là, et me rendre compte que ces jeunes deviennent, à chaque fois, des ambassadeurs du théâtre.
En matière de partenariats, allez-vous bâtir des ponts avec les autres structures du territoire, et notamment avec Les 2 Scènes, la Scène nationale de Besançon ?
Je crois sincèrement aux vertus du travail en réseau, et j’ai d’ailleurs déjà fait quelques réunions avec des responsables de la Scène nationale de Mâcon, des Scènes du Jura et de la Scène nationale du Creusot pour voir comment nous pourrions cheminer ensemble. En matière de collaboration, il y a les éléments visibles, comme la co-programmation ou la co-production, mais aussi invisibles. Aujourd’hui, le CDN de Besançon dispose de son propre atelier de décor, tout comme la Scène nationale. Je crois, par exemple, qu’une mutualisation de ces ateliers pourrait être une bonne chose pour commencer à travailler ensemble, main dans la main. Il est important que les deux structures gardent leurs deux couleurs, mais aussi de faire circuler les choses. Cela me semble capital pour les habitants, pour les artistes et pour les équipes que l’on ne s’inscrive pas dans une logique de chasse gardée. J’ai également pu échanger avec Maëlle Poésy au Théâtre Dijon-Bourgogne ou avec le Festival Impatience pour voir comment nous pourrions rendre visible l’émergence et mettre au point un système de repérage dans les territoires. Tout ceci est encore au stade de la réflexion, mais nous avons tous conscience que nous devons travailler en réseau pour garder notre solidité.
À ce propos, les tensions financières qui minent actuellement la bonne marche de certaines structures ne vous inquiètent-elles pas ?
Nous sommes effectivement dans un endroit de tension, dans le domaine culturel comme dans d’autres, mais je pense qu’il est capital de préserver notre modèle d’exception culturelle. Nous ne pouvons pas seulement être dans une culture du patrimoine, et je défendrai cet endroit-là de l’institution. Dans tous les cas, je prendrai mes responsabilités pour définir quelque chose de politique et montrer ce que cela apporte de valoriser et de mettre de l’argent dans nos structures.
Comment appréhendez-vous votre rôle de directeur, notamment avec les missions managériales qu’il impose ?
L’équipe du CDN de Besançon est là, dont certaines et certains depuis plus de 30 ans, et j’ai bien en tête que, de mon côté, je ne suis, par essence, que de passage. Je compte donc travailler main dans la main avec les membres de l’équipe actuelle qui, aujourd’hui, ont plus de connaissances que moi. Je vais d’abord instaurer une phase d’écoute et d’observation pour apprendre à leur contact. Pour le reste, je vais faire confiance à mon instinct et être le plus en dialogue possible avec les autres, comme lorsque je mets en scène un spectacle. En matière de lumières, de son, de costumes, je n’ai aucune compétence spécifique et m’en remets toujours à celles et ceux qui en sont spécialistes. Il en sera de même, par exemple, pour la comptabilité, même si j’ai conscience qu’en tant que directeur de CDN, et de SARL dans le cas de Besançon, j’ai une responsabilité très particulière.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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