Tom à la ferme, un thriller théâtral terrien et solaire
Popularisé au cinéma par Xavier Dolan, Tom à la ferme est d’abord une pièce écrite par le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard dont la production brésilienne multi-primée, jouée pour la première fois en Europe, dans le Off d’Avignon, avant une possible reprise à Paris, offre une version puissamment belle et viscérale.
Créé au Brésil il y a cinq ans et programmé cet été par la Manufacture d’Avignon au Château de Saint-Chamand, Tom na Fazenda, adapté par Armando Babaioff et mis en scène par Rodrigo Portella, fait plonger au cœur d’une relation trouble et torride entre deux hommes : Tom, un jeune garçon qui travaille comme graphiste dans le milieu de la publicité et débarque en pleine campagne isolée sur les traces familiales de son compagnon mort prématurément, et Francis, le frère du défunt qui vit seul à la ferme avec sa mère laissée dans l’ignorance de l’homosexualité de son fils décédé.
En optant pour une forme à la fois grandiose et dépouillée, qui jamais ne cherche à simplement illustrer, mais transpire vraiment l’âpreté du propos, la mise en scène prend place dans le décor aride d’une large lande terreuse et boueuse. Le temps s’écoule lentement, le silence y est omniprésent et pesant. Lorsque d’une manière hésitante et inhibée, Tom foule pour la première fois ce sol qui suinte la sécheresse et la rudesse inhérentes à cet environnement immédiatement hostile, il paraît complètement étranger, mais finira par se laisser totalement happer.
La force de ce spectacle au sang chaud réside dans sa façon alchimiste de transformer la saleté suante et poisseuse de ce bourbier en une matière lumineuse pleine de beauté et d’organicité. Une violence inouïe et ambiguë émane de l’affrontement perpétuel auquel se livrent, dès leur rencontre, le héros plutôt discret et le frère de son amant, Francis, une brute épaisse, célibataire et solitaire, en proie à une insondable perversité. Tout cela se traduit et se lit dans les corps d’interprètes vigoureux, dénudés, maculés, à l’occasion de face-à-face virils et sauvages entre les protagonistes enlisés dans un rapport de domination et de soumission, d’attraction et de répulsion. Les sévices physiques et psychologiques qu’ils s’infligent vont jusqu’à voir la victime pendue par les pieds comme une charogne au croc d’un boucher. Pour autant, rien ne parvient à dissimuler la montée en puissance du désir qui les aimante ardemment et confusément.
Le jeu admirablement juste et charnel des acteurs, Armando Babaioff (Tom), Gustavo Rodrigues (Francis), mais aussi Soraya Ravenle dans le rôle touchant de la mère, et Camila Nhary qui campe une petite amie imaginaire, exacerbe la brutalité, la crudité et la sensualité de la pièce. A la force esthétique et magnétique du geste, s’ajoute aussi une dimension éminemment politique, le spectacle ayant été créé et largement diffusé au Brésil, pays où l’extrême droite ne cesse de persécuter les homosexuels, comme l’ensemble des minorités.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Tom na Fazenda (Tom à la ferme)
Texte Michel Marc Bouchard
Mise en scène Rodrigo Portella
Avec Armando Babaioff, Soraya Ravenle, Gustavo Rodrigues, Camila NharyProduction Quadrovivo
Durée : 2h50 (trajet en navette compris)
Festival Off d’Avignon 2022
La Manufacture – Château de Saint-Chamand à Avignon
du 7 au 26 juillet, à 21h (relâches les 13 et 20 juillet)
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