A l’occasion de son festival annuel, l’Opéra de Lyon joue de grosses cartes en programmant un western lyrique de Puccini et un thriller fantastique de Tchaïkovski. L’un et l’autre somptueusement dirigés par Daniele Rustioni sont montrés dans des mises en scène diversement appréciées : si Tatjana Gürbaca perd le jeu, Timofeï Kouliabine emporte la mise.
De simples cartes peuvent décider de la vie d’un être. Hasardeuses et convoitées, celles-ci sont le fil rouge des deux pièces phares du festival. Tandis que Minnie, la Fanciulla de Puccini, truque sa partie de poker pour sauver l’homme qu’elle aime, Hermann, joueur insensé chez Tchaïkovski, sacrifie tout, y compris sa bien aimée, pour arracher à une comtesse mourante son secret de réussite au jeu. Rares sont les occasions d’entendre ces deux œuvres qui réclament des moyens conséquents. Les distributions abondantes sont d’un niveau honorable, les chœurs dirigés par Benedict Kearns, absolument remarquables, et enfin, l’orchestre est le triomphateur des deux soirées. En fosse, le directeur musical Daniele Rustioni réalise un travail d’orfèvre. On redécouvre l’œuvre de Puccini sous sa direction incisive et finement ciselée qui fait parfaitement fi de toute grandiloquence pour mieux mettre en valeur le raffinement des détails chers au compositeur vériste. Chez Tchaïkovski, l’orchestre gagne encore en ampleur et en tensions dramatiques, il palpite, frémit et étincelle dans sa folle et furieuse course vers l’abîme.
Prenant place dans un décor aride où l’écrasante lumière d’un soleil de plomb laissera place à la froidure extrême d’une neige couvrant l’espace disloqué, la mise en scène plutôt monolithique et peu imaginative que propose Tatjana Gürbaca de La Fille du Far West ne se veut pas littéralement illustrative mais reste tout à fait proche du livret placé dans la Californie au temps de la conquête de l’or. Les mineurs sont présentés comme les ouvriers d’un chantier précairement installé au milieu de dunes de sable. D’abord immobiles et exténués, ils prennent vie à la faveur de tableaux bien ordonnés au cours desquels ils affichent sans complexe leur rude et épaisse virilité, ivres d’alcool et de jeu (acte I), ou coiffés d’absconses têtes d’animaux cornus pour se livrer à une sorte de rituel de lynchage aussi pittoresque que cauchemardesque (acte III). Plus intimiste, le deuxième acte est le moins réussi. Malgré l’engagement vocal et émotionnel des interprètes que sont Chiara Isotton, dont la voix est puissante, aussi bien lumineuse que corsée, et Riccardo Massi, ténor au timbre frais et solaire, peut-être un peu léger, le couple naissant chante à distance et dans des costumes prosaïques sa joie d’être ensemble. L’amour qu’il se porte paraît discrédité car sans passion ni séduction. Trop lourdement « poétisé », le drame qui survient juste après n’a pas non plus l’impact espéré.
A l’inverse, le metteur en scène russe Timofei Kouliabine (dont le geste scénique rappelle à plusieurs occurrences celui de son compatriote star Dmitri Tcherniakov) déploie dans La Dame de Pique un sens du théâtre beaucoup plus fort et bousculant. Sa direction d’acteurs est électrique et sa dramaturgie nourrie de prises de liberté audacieuses et de références politiques et culturelles pertinentes. Par exemple, lorsque s’établit un parallèle entre le rôle de la Comtesse (campée de manière poignante par Elena Zaremba) et la figure historique de Juna Davitashvili, icône bienfaitrice, guérisseuse et cartomancienne, autrefois célèbre en URSS. Aux antipodes du camp de miniers vu la veille sur le même plateau, un monde hautement élitiste de la Russie contemporaine se dessine et se voit propulser au bord du précipice. C’est avec une ironie mordante mais aussi une profonde gravité que la représentation s’ouvre sur un insolite spectacle propagandiste mêlant flamme du souvenir, femmes éplorées, défilé d’enfants soldats et ballerines munies de kalachnikovs, tandis qu’elle se referme dans ce même théâtre complètement délabré et gangréné par le déclin et une sauvage barbarie.
Inspirée de la princesse Nathalie Galitzine admirée à la cour du tsar Alexandre Ier, la Lisa aristocratique d’Elena Guseva possède un timbre somptueux, une magnifique projection et un bel engagement scénique. Elle évolue dans le luxe ostentatoire des salles de spectacles et de réceptions où se pressent ses admirateurs huppés. Tout juste mariée au pathétique jeune prince Eletski (juvénile et délicat Konstantin Shushakov) dont le metteur en scène suggère l’homosexualité fébrilement assumée, elle devient l’aimée (et la complice…) du fiévreux bandit Hermann pour lequel elle se transforme en amante fugitive échouée à bout de force en pleine nuit et en jogging dans une gare malfamée pour y chanter avec une formidable véhémence son air le plus bouleversant. Avec une voix un peu trop blanche et parfois étriquée, le ténor Dmitry Golovnin n’atteint pas l’incandescence vocale attendue dans le rôle mais son interprétation demeure extrêmement bien habitée d’inquiétude, d’étrangeté et de folie, notamment dans la dernière partie empreinte de tant de noirceur et de violence qu’elle se fait la conclusion coup de poing d’une version vraiment captivante.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Fille du Far West
Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini
Livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini, d’après le drame de David Belasco
Création à New York en 1910DIRECTION MUSICALE
Daniele Rustioni
MISE EN SCÈNE
Tatjana Gürbaca
DÉCORS
Marc Weeger
COSTUMES
Dinah Ehm
LUMIÈRES
Stefan Bolliger
CHEF DES CHŒURS
Benedict Kearns
MINNIE
Chiara Isotton
JACK RANCE
Claudio Sgura
DICK JOHNSON
Riccardo Massi
NICK
Robert Lewis *
ASHBY
Rafał Pawnuk
SONORA
Allen Boxer
SID
Matthieu Toulouse
TRIN
Zwakele Tshabalala
BELLO
Ramiro Maturana
HARRY
Léo Vermot-Desroches
JOE
Valentin Thill
HAPPY
Florent Karrer
LARKENS
Pete Thanapat *
WOWKLE
Thandiswa Mpongwana *
JACK WALLACE
Pawel Trojak *
ORCHESTRE ET CHŒURS DE L’OPÉRA DE LYON
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
* SOLISTES DU LYON OPÉRA STUDIONouvelle production
En italien surtitré en françaisAvec le soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande mécène du Festival
Opéra de Lyon
du 15 mars au 2 avril 2024La Dame de pique de
Piotr Ilitch Tchaïkovski
DIRECTION MUSICALE
Daniele Rustioni
MISE EN SCÈNE
Timofeï Kouliabine
DÉCORS
Oleg Golovsko
COSTUMES
Vlada Pomirkovanaya
LUMIÈRES
Oskars Pauliņš
VIDÉO
Alexander Lobanov
DRAMATURGIE
Ilya Kukharenko
CHEF DES CHŒURS
Benedict Kearns
CHEF DE CHŒUR DE LA MAÎTRISE
Nicolas ParisotHERMANN
Dmitry Golovnin
LISA
Elena Guseva
LE PRINCE YELETSKI
Konstantin Shushakov
COMTE TOMSKI / ZLATOGOR
Pavel Yankovsky
PAULINE / MILAVZOR
Olga Syniakova
LA COMTESSE
Elena Zaremba
MACHA / PRILÈPA
Giulia Scopelliti *
TCHEKALINSKI
Sergeï Radchenko
SOURINE
Alexei Botnarciuc
TCHAPLITSKI
Tigran Guiragosyan
NARUMOV
Paolo Stupenengo
LE MAÎTRE DE CÉRÉMONIE
Yannick BerneORCHESTRE, CHŒURS , MAÎTRISE DE L’OPÉRA DE LYON
* SOLISTES DU LYON OPÉRA STUDIOEn russe surtitré en français
Opéra en 3 actes et 7 scènes
Livret de Modeste Illitch Tchaïkovski, d’après la nouvelle d’Alexandre Pouchkine
Création à Saint-Pétersbourg en 1890Nouvelle production de l’Opéra de Lyon
Avec le soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande mécène du FestivalOpéra de Lyon
du 16 mars au 3 avril 2024
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