Accompagné à la mise en scène par David Gauchard, le jongleur Martin Palisse joint la parole au geste dans Time to tell. Il dit sa maladie, la mucoviscidose. Il livre ce qu’elle a fait à son art et à sa vie. Fort, juste, cet autoportrait interroge l’essence de l’acte artistique, son urgence.
Le jonglage, pour Martin Palisse, est un art qui se déploie dans des espaces contraints. C’est une discipline qui se bat avec des dispositifs qui ne veulent pas d’elle, qui manquent toujours de la faire disparaître. Et qui y parviennent parfois. Le cercle, élément naturel de nombreux circassiens – malgré la raréfaction des chapiteaux –, n’est pas pour lui une évidence. La balle, son jeu contre la force de gravité, reste toujours à conquérir. De même que la piste que, depuis Futuro antico (2019), il occupe seul, avec une évidente volonté d’en découdre avec le temps. Avec un désir de toucher à l’essence d’une discipline dont il fait toujours ressentir l’étrange, la part de gravité, voire de trouble qui peut se cacher derrière une apparente légèreté. Time to tell, dont la création devait avoir lieu du 11 au 15 novembre à Lyon aux SUBS – c’est à l’occasion de filages organisés à ces dates pour quelques professionnels que nous avons eu la chance de voir la pièce dans son état quasi-final –, où elle est par bonheur reportée du 2 au 6 février 2021, s’inscrit pleinement dans cette quête d’un jonglage minimaliste qui touche à de très grandes questions. En l’occurrence la maladie, la vie, la place de l’art dans celle-ci et le temps, toujours lui.
Dans cette pièce qu’il a demandé à David Gauchard de mettre en scène, le jongleur fait même davantage que poursuivre la recherche qu’il mène depuis son premier « acte jonglistique » – hérité de son maître Jérôme Thomas, il préfère ce terme à celui de jonglage –, il en livre une partie du sous-texte. Cela par un moyen qu’il a déjà employé aux côtés de l’inclassable Halory Goerger dans leur Sujet à vif Il est trop tôt pour un titre créé au Festival d’Avignon en 2016 : la parole. Comme Jérôme Thomas dans I-solo (2018) ou Johann Le Guillerm dans Le Pas Grand Chose (2017), l’artiste joint le mot au geste après des années de silence. Comme il le fait aussi depuis 2014 en tant que directeur du Sirque, Pôle National Cirque de Nexon dans le Limousin, il participe ainsi d’une mise au point du nouveau cirque avec lui-même. Il dit la nécessité de le relier à d’autres formes et disciplines, et d’y amener de la pensée et de l’intime. De la pensée par l’intime : dans Time to tell, c’est à un sujet très personnel que s’attaque Martin Palisse : la maladie qui l’accompagne depuis sa naissance : la mucoviscidose.
Pour cette mise à nu, l’artiste renonce à ses imposants dispositifs. Mais il en garde l’idée : dans le couloir entouré de néons qui lui tient lieu de piste, on peut voir la trace du tapis roulant de Slow Futur (2015) conçu et interprété avec Elsa Guérin, ou plus lointainement de la dalle lumineuse de Futuro antico. Il se sépare aussi de son fidèle complice, le musicien bricoleur Cosmic Neman, pour ne garder qu’un symbole de son rapport fort à la musique : un tourne-disque, qui diffuse aussi à plusieurs reprises des enregistrements réalisés par Martin Palisse et David Gauchard. Des bribes de récit sur l’art et la maladie, qui complètent ceux que le jongleur dit avec une voix posée, neutre, tout en arpentant son couloir avec à la main ses balles blanches et noires. Jamais plus de trois à la fois : l’essentiel. Trois comme le nombre d’enfants qu’ont eu ses parents : lui, atteint de la mucoviscidose, son frère porteur sain, sa sœur non malade. C’est par là que commence Time to tell. Avant de s’en aller beaucoup plus loin.
La peur, la douleur, le sentiment d’étrangeté, la fatigue devant la condescendance, mais aussi la résistance à toutes ces peines, le goût du dépassement, de la radicalité, de la joie… À travers les différents épisodes de sa vie qu’il raconte avec une écriture au-delà des affects, Martin Palisse soulève tous les paradoxes qu’a fait grandir en lui la maladie. « Il va de soi que la démarche de se raconter n’a d’intérêt que par le fait d’aborder des sujets qui me dépassent. L’ensemble de ce récit devra avoir une résonance, un écho au-delà de ma personne. Il y a nécessité à se confronter à des questions sociétales actuelles », dit-il. Annie Ernaux, figure de proue de l’autofiction en France, aurait pu prononcer de tels mots. Leurs démarches se ressemblent. Comme celle du roman La Place, l’écriture de Time to tell est « au couteau ». L’acte jonglistique de Martin aussi. Entre deux fragments de récit, l’artiste se livre à des déplacements, à des gestes simples, jonglés ou non, dont la répétition le place au bord de la transe. Et donc au seuil de l’asphyxie, signe non pas d’un art et d’un désir à bout de souffle, mais d’un art combattant, prêt à lutter contre toutes les fatalités.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Time to tell
Conception, mise en scène et scénographie : David Gauchard & Martin Palisse
Interprétation : Martin Palisse
Création son : Chloé Levoy
Création lumière : Gautier DevoucouxProducteur exécutif : Le Sirque, Pôle National Cirque, Nexon, Nouvelle-Aquitaine
Production : L’unijambisteDiffusion : La Magnanerie
Soutien : OARA | Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine
Crédit photo : Christophe Raynaud de LageDurée : 1h
Off 2022
La Patinoire de la Manufacture
du 8 au 24 juillet de 11h55 à 13h55
(trajet en navette compris)
relâches 13 et 20 juillet
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