Frappées par l’inflation conjoncturelle et un problème de financement structurel, les structures publiques tirent la sonnette d’alarme. La saison prochaine sera marquée par une immense précarité.
La crise qui s’annonce est d’un genre nouveau, parce qu’elle est profonde, mais parce qu’elle est aussi étrangement sourde, pour l’instant. Frappés par l’inflation, percutés par la flambée du prix de l’énergie, empêchés par la stagnation de leurs budgets et du salaire de leurs employés, tous les directrices et directeurs de lieux tirent la sonnette d’alarme. En vain. Bientôt, ils ne seront plus en mesure d’assurer leur mission de service public ; faute de moyens. Bientôt, ils seront obligés d’écourter leurs saisons ; faute de visibilité budgétaire. Bientôt, leur milieu risque d’être sinistré par un chômage de masse ; faute d’un désinvestissement de la politique culturelle. Bientôt, c’est-à-dire à l’automne prochain. Les mots sont forts. Mais ils sont partagés.
« Aujourd’hui, on court à la catastrophe, et cela ne trouble personne, tonne Sandrine Mini, directrice de la scène nationale de Sète et du Bassin de Thau, dont la programmation se réduit à une peau de chagrin. « Il y a deux ans, nous pouvions assurer 160 levers de rideau, assure-t-elle. Cette année, ce sera 110. Et l’an prochain, un peu moins de 100. En tout, on aura perdu 40 % de notre programmation… » Même son de cloche du côté des compagnies. Lesquelles jouent actuellement leur survie. « Nous avons seulement 40 dates assurées pour la saison prochaine, précise Matthieu Roy, co-directeur de la compagnie Veilleur. Habituellement, nous en vendons au moins 90. En l’état, nous ne pourrons tenir avec les seuls moyens de cette structure. »
Une pétition intitulée « N’éteignez pas la lumière sur le service public », portée par le SYNDEAC (le syndicat des entreprises artistiques et culturelles) et visant à informer le public et interpeller le gouvernement a déjà récolté 11 000 signatures.
La première cause est évidente : l’inflation. Celle de l’énergie en particulier. Les théâtres sont d’immenses bâtiments, difficiles à chauffer. « L’augmentation du coût de l’énergie s’élève déjà à 1,3 million à l’échelle du réseau des CDN en 2022, précise Émilie Capliez, présidente de l’association des Centre dramatiques nationaux. Augmentation à laquelle se rajoute celle de la construction des décors, du transport… Et de la vie, de manière générale. » Face à cette flambée, l’État a annoncé une aide aux structures labellisées (opéras nationaux, centres dramatiques nationaux, centres chorégraphiques nationaux, scènes nationales…) de 30 % du surcoût énergétique. Une goutte d’eau. « Objectivement, ce guichet représente seulement 10 % de nos besoins », commente Nicolas Dubourg, président du SYNDEAC. Par ailleurs, les structures, dont les statuts diffèrent, ne peuvent toutes prétendre à ces aides.
En réalité, cette inflation conjoncturelle cache une crise bien plus grave, et bien plus profonde. « Depuis vingt ans, les pouvoirs publics nous disent ‘faîtes avec les moyens que vous avez’, poursuit Nicolas Dubourg. Alors on a fait… Avec une inflation à 1%, les entreprises du spectacle ont gelé la progression salariale, le secteur est devenu moins attractif ; on a rogné un peu partout… Les investissements, comme ceux que l’on aurait dû initier sur la transition écologique, n’ont pas été entrepris. Ensuite, cette nouvelle et soudaine inflation, conjuguée à l’arrêt des aides accordées lors de la crise COVID, est arrivée. Et tout est passé par-dessus bord. Nous étions déjà fragiles. Or, quand un patient affaibli contracte une maladie opportuniste, il peut ne jamais s’en remettre ». Le constat est d’autant plus frustrant que depuis décembre 2022 les salles de spectacle affichent un excellent taux de remplissage.
« Pour l’instant, on ne peut quantifier précisément les conséquences de l’inflation, nuance Hortense Archambault, ex-présidente de l’association des scènes nationales. Mais on constate déjà tous qu’il est de plus en plus difficile de produire des spectacles. Avec un risque de pièces avec moins de comédiens, pas de décor… Un appauvrissement généralisé de la production : cette réalité est déjà là. Et à l’instar de mes collèges, je suis d’avis qu’il faut un refinancement général du secteur. »
Au regard de l’embrasement social lié à la réforme des retraites, dans le contexte où les services publics, à commencer par ceux de la santé et de l’éducation, n’ont jamais été aussi fragiles, le moment semble bien mal tombé… Ou pas. « C’est le moment de se poser la question de la société dans laquelle nous voulons vivre, et de choix politiques que nous voulons faire, commente Nicolas Dubourg. La productivité française n’a cessé d’augmenter depuis 70 ans. Il y a des richesses. La question fondamentale c’est celle de la répartition, et le financement du commun ».
Igor Hansen-Løve – www.sceneweb.fr
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