D’ordinaire si prompt à faire écho aux mouvements sociaux, le monde du théâtre reste bien silencieux, comme embarrassé par ce mouvement des gilets jaunes. Que signifie ce silence ?
On a vu mi-décembre dans Télérama quelques figures du théâtre public expliquer une forme d’attentisme face au mouvement des Gilets Jaunes. Méfiance et intérêt mélangés, « wait and see » au programme de figures tutélaires comme Mnouchkine, Nauzyciel et Makeïeff. Seule la comédienne et auteure Laetitia Dosch s’était déjà impliquée dans les manifestations.
Un mois plus tard, comme le souligne Ronan Chéneau, auteur qui participe au mouvement sur la toile comme dans la rue, « à la différence de 2015 ou de la crise des migrants, il n’y a pas de prise de parole d’artiste, ni d’engagement de structures type CDN dans le mouvement. C’est un silence étonnant qui vient du monde de la culture ». « Un silence assourdissant » renchérit Christian Benedetti, metteur en scène et candidat pour la France Insoumise aux élections européennes.
Christian Benedetti attribue à ce silence des «origines très profondes », où se mêlent « paresse intellectuelle », « difficulté à s’engager », « disparition des idéologies », « repli sur soi jusqu’à l’autarcie » et transformation du théâtre public « en filiales d’un Ministère de la Culture devenu lui-même une société de production ». Un silence qui au final acterait la « disqualification » d’un monde théâtral « incapable de parler aujourd’hui à ceux pour qui on fait ce métier ». Un constat sans indulgence.
« Le théâtre se méfie des gilets jaunes comme de tous les mouvements populaires » tempère la metteuse en scène Eva Doumbia. En cause donc, une évidente coupure sociologique entre les deux mondes. « Les comédiens sont largement issus de milieux bourgeois » avance Benedetti, et les Gilets Jaunes sont constitués « d’une population tout aussi inédite dans les cortèges que dans nos salles » poursuit Chéneau. Mais surtout, pour ce dernier, «une révolution culturelle » est à l’œuvre, à laquelle le monde de la culture ne peut pas, dans son état actuel, apporter de réponse. En effet, le refus de la verticalité des GJ s’accommode mal pour lui des pratiques très verticales de la culture. Ainsi, « faire parler les artistes serait à côté de la plaque, tout comme avoir recours à l’éternel tropisme vertical du communiqué Syndeac » poursuit Chéneau, qui trouve finalement cela « pas si mal que la culture se taise ». Dans le même sens, Eva Doumbia suppose que le monde du théâtre a besoin d’ « une légitimation pour s’engager. En 95, par exemple, Bourdieu rassemblait tout le monde. Aujourd’hui, aucune figure intellectuelle majeure ne s’est positionnée. Badiou au contraire»
Cependant, ici et là, quelques voix se font entendre. Sur sa page Facebook, Benedetti écrit une lettre ouverte intitulée « Ouvrons, ouvrez les théâtres ». Toujours sur Facebook, Lancelot Hamelin rêve d’une table ronde dans un théâtre organisée autour du fameux boxeur Christophe Dettinger, figure qui lui rappelle Zucco, Pasolini, Genet. « Que la salle d’un de nos théâtres accueille ceux qui n’y viennent jamais, parce que soudain cela parle d’eux, de nous » lance Hamelin, qui énonce ainsi le défi qui se pose aux théâtres avec ce mouvement : « les théâtres doivent jouer leur rôle, sinon ils vont encore perdre le lien avec la société».
Les gilets jaunes, une occasion pour renouer le lien avec ce fameux théâtre populaire ? Tous s’accordent là-dessus. Mais le monde du théâtre s’en révèle aujourd’hui incapable. A désespérer ? Pour Ronan Chéneau, le renouveau d’un théâtre documentaire, qui donne la parole, parfois directement, à ces fameux invisibles de la société, opère de plus en plus un retour vers le réel. Il acte également des pratiques plus horizontales, au delà « de la séparation méprisante entre l’action culturelle et la création pure ». A côté d’un Ostermeier qui met en regard Eribon et les gilets jaunes, une pétition d’universitaires, une autre venant d’artistes issus majoritairement des arts visuels viennent également d’être lancées. Le mouvement, et ses répercussions, c’est un fait, ne semblent pas près de s’arrêter. Symptôme de certains de ses maux, le mouvement des Gilets Jaunes peut constituer pour le théâtre une inspiration, une source d’autocritique, de réforme, une réelle opportunité. Eva Doumbia de conclure : « je sens qu’il faut y être, mais je n’ai pas encore trouvé comment ».
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Quand les gens de théâtre, en soutenant les gilets jaunes sous la bannière de Benedetti, auront contribué à faire élire le FN, avant d’être dévorés par le nouveau pouvoir, il nous restera à en écrire la fable.
La nature a horreur du vide. si on laisse la place au idées nauséabondes il ne faudra s’en prendre qu’à nous même. Le mouvement gilets jaunes est ce qu’on en fait. Je ne crois pas que le regarder de loin ou de haut soit juste. Si on laisse la place au FN , il l’a prendra, de fait, encore plus facilement si on est observateurs. Et ce n’est pas une colère sociale qui en sera la cause, car c’est seulement une conséquence de l’ état de notre société.
Alors on est à mon sens libre de regarder passer le cortège ou d’en être. Et c’est de ces démarches individuelles que dépend la couleur de l’avenir. Le dialogue et le partage des points de vus, et non la séparation pour des raisons d’identité intellectuelle. Aujourd’hui c’est le public qui parle…
Cet article est très… incomplet. Y en a marre de pointer du doigt les comédiennes et comédiens et tous les travailleurs du théâtre français qui seraient lents à « soutenir » le mouvement des gilets jaunes. Comme si nous étions insensibles à la chose populaire… Ce que ne dit pas l’article, c’est que lors des précédents nombreux combats des intermittents, peu de personnes n’appartenant pas à cette catégorie nous ont soutenu en arguant souvent du fait que nous étions des privilégiés.
Ce que l’article ne dit pas non plus, c’est que le communautarisme social est un système de gestion politique mortifère depuis de nombreuses années. Et qu’en titrant que le Théâtre serait silencieux quant aux revendications des gilets jaunes, SCENEWEB s’inscrit pleinement dans ce même système de communautarisme social et l’entretient dangereusement.
Pourquoi ne pas parler de toutes ces scènes et artistes qui œuvrent dans des quartiers défavorisés, dans des centre sociaux, dans les communes en offrant la possibilité de s’exprimer bien au-delà de leur univers d’origine tout en découvrant des outils culturels diversifiés ?
L’équipe de rédaction de SCENEWEB (c’est un bien grand mot) n’en parle pas pour une bonne raison : parce qu’elle n’en sait rien. Courir après la dernière tendance prend bien trop de temps : on ne peut pas leur demander en plus de tenter d’analyser et de s’informer sur la réalité de ce qu’on appelait l’ACTION CULTURELLE, un terme qui doit leur sembler ultra ringard.
c’est ça, il y a theatre et theatre, artiste et artiste, ce qui les distingue c’est l’argent, le pouvoir ou l’accés et le maintien au pouvoir et être artiste ne veux pas dire relever d’un seul discours…ceci dit il me semble que nombre d’intermittents qui voulaient étendre la sauvegarde de leur statut et donc la lutte à tous les travailleurs ne ce sont pas beaucoup fait entendre au début du mouvement des gilets jaunes et si la sphère culturelle, artistique….s’était levée illico, peut-être moins d’yeux aujourd’hui solitaires pleureraient sur leur sort inique
pascal
Voilà qui pose le débat….