Avec The Romeo, Trajal Harrell et le Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble inventent une danse fictive où se mêlent les styles, les époques en cassant toutes formes de hiérarchie. Habité par une multiplicité de références, autant picturales, chorégraphiques que musicales, l’ensemble déploie un bal généreux et émotif dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.
The Romeo. C’est une danse qui aurait traversé les époques, transmise de génération en génération. Elle n’a pas de topographie définie, serait mouvante et existerait en chacun de nous sans que l’on sache vraiment comment. Voilà ce que l’on retient de la FAQ (foire aux questions) distribuée par les membres du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble, qui sillonnent les rangs de la Cour d’honneur du Palais des Papes en guise d’introduction. Si la danse contemporaine est parfois vue comme absconse par ses détracteurs, Trajal Harrell fait, ici, un effort d’explicitation, peut-être pour nous désorienter encore plus.
The Romeo s’articule autour d’un délire. Celui du chorégraphe new-yorkais, à la tête de la compagnie suisse depuis 2019, qui prétend réactiver une danse (en réalité fictive), qui se serait distillée dans les corps au fil du temps. Trajal Harrell, faux archivisite, se sert de ce prétexte pour creuser des passages secrets entre les mondes et casser les hiérarchies entre les arts. Historien facétieux, il écrit une mythologie de la danse queer, généreuse, oscillant entre les styles, les époques, les cultures dominantes et plus underground. Manière d’affirmer que le « Roméo » nous appartient à toutes et tous.
Les gestes des interprètes se déposent, à la manière d’un drapé pictural sur le Palais des Papes. Les tenues du groupe, qui ne cessent de se changer y font écho : toge façon Grèce antique, serviette de bain Batman portée en écharpe, robe de soirée et jogging Adidas. On croirait à une plongée dans la malle à déguisements, à un casse dans une friperie, à un défilé de mode. Omniprésentes dans son écriture, les traversées rythmées, chaloupées, sur la pointe des pieds, empruntent explicitement au ballroom – une culture underground gay et noire née aux Etats-Unis, qui a emprunté aux catwalk et à la mode pour s’approprier les codes d’une culture blanche dominante comme moyen de résistance. Les interprètes se croisent, se présentent face à nous, exposant leur danse, leur prestance, en traversant encore et encore une structure noire métallique sophistiquée aux airs de palais – preuve que Vérone n’est pas loin.
Dans ce bal, qui fait aussi écho à la tradition baroque, surgissent une multitude de clichés, en costumes et gestes, qui font l’effet d’une traversée dans le temps. Les danseurs et danseuses déboulent en poussant les mains en avant, affublés de masques, façon tragédie shakespearienne, gambadent de manière bucolique invoquant la pastorale, prennent des poses proches d’une figure de vase romain, se tiennent les mains en farandoles évoquant des danses folkloriques, ondulent comme des stéréotypes de danseur·euse orientaux. Tous ces imaginaires, plus ou moins ancrés dans une chronologie réelle, se contaminent, avec grâce et humour.
Intégré dans le groupe, Trajal Harrell se contente parfois de vivre cette traversée en retrait, assis sur un tabouret de piano – dont plusieurs sont disposés sur le plateau, comme pour délimiter l’espace à danser. Il vibre au son des différents morceaux qui emplissent la Cour, de The Wall de Pink Floyd à Erik Satie, comme relié de manière viscérale à la musique. Souvent intimement connecté à la musique, il tremble, proche de la transe. Voilà peut-être comment Trajal Harrell transmet sa danse aux autres, par une contagion des gestes, qui, grâce à une empathie kinesthésique, semblent pénétrer les corps du Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble. Même si elle ondule sur la même vague, dans un mouvement fluide qui ne s’arrête jamais vraiment, leur danse est pourtant loin d’être standardisée et laisse apparaître les personnalités magnétiques de chacun. La contagion nous gagne à notre tour, fait vibrer jusqu’aux organes. Manière de partager de manière intime cette danse avec nous.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
The Romeo
Mise en scène, chorégraphie, scénographie, costumes Trajal Harrell
Avec Frances Chiaverini, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Rob Fordeyn, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, New Kyd, Thibault Lac, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Perle Palombe, Norel Amestoy Penck, Stephen Thompson, Songhay Toldon
Répétiteurs Ondrej Vidlar, Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Stephen Thompson
Dramaturgie Katinka Deecke, Miriam Ibrahim
Musique Trajal Harrell, Asma Maroof
Musique originale complémentaire Felix Casaer
Scénographie Trajal Harrell, Nadja Sofie Eller
Lumière Stéfane Perraud
Assistanat à la mise en scène Camille Charlotte Roduit
Assistanat à la scénographie Eva Lillian Wagner
Assistanat costumes Mona Eglsoer, Lena Bohnet
Stage mise en scène Mia FrickProduction Schauspielhaus Zürich avec Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble
Coproduction Festival d’Avignon, Holland Festival (Amsterdam), Singapore International Festival of Arts, Berliner Festspiele (Berlin), La Villette (Paris), Festival d’Automne à Paris, La Comédie de Genève, La Bâtie-Festival de Genève, La Comédie de Clermont-Ferrand Scène nationale, Tandem – Scène nationale (Douai), December Dance Concertgebouw and Cultuurcentrum Brugge (Bruges)
Avec le soutien de Trajal Harrell Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble Fan Club, Michael Ringier et pour la 77e édition du Festival d’Avignon : Pro Helvetia Fondation suisse pour la cultureDurée : 1h15
Festival d’Avignon 2023
Cour d’honneur du Palais des Papes
du 18 au 23 juillet, à 22h30Comédie de Genève, dans le cadre de La Bâtie
les 15 et 16 septembreComédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
les 30 novembre et 1er décembreLa Villette, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 7 au 9 décembreConcertgebouw Brugge, dans le cadre du December Dance, Belgique
le 12 décembreTandem Scène nationale d’Arras-Douai
les 14 et 15 février 2024
J’ai volé avec vos libellules et aujourd hui je sens encore le balancement du Roméo au fond de mon corps. Merci. Ces spectateurs sans respect qui partent bruyant quand vous saluez c’est indigne.