Comme dans sa traduction rousseauiste, la veine autobiographique irrigue The Confessions, dernière pièce écrite et mise en scène par Alexander Zeldin autour de la vie de sa mère. L’histoire ordinaire d’une femme ordinaire donne un spectacle extra, traitant notamment de l’oppression patriarcale dans la deuxième moitié du siècle dernier. D’une théâtralité simple et renversante.
Dans The Confessions, le spectateur suit la vie d’Alice, du rituel du bal de fin de lycée à la mode américaine – nous sommes au début des années 1960 – à aujourd’hui. La vie d’Alice, c’est la vie d’une femme née en Australie, qui ralliera l’Europe – l’Italie, puis l’Angleterre – pour y passer la seconde moitié de son existence. C’est la vie d’une femme qui traverse la seconde moitié du XXème siècle, accompagnant les mouvements d’émancipation féminine de son temps, autant qu’elle prend de plein fouet les effets d’un système patriarcal encore tout puissant. Et la vie d’Alice, c’est aussi la vie de la mère d’Alexander Zeldin, telle qu’elle la lui a racontée avant de mourir, mais également celle de n’importe quelle femme occidentale se dit-on, confrontée aux pressions sociales de son époque, exigeant un intense courage et une immense détermination pour parvenir à se construire son propre destin. Si tant est que cela soit possible.
Alexander Zeldin n’a que 37 ans, mais il est aujourd’hui considéré (à raison) comme l’un des plus grands metteurs en scène européens, excellant dans un théâtre réaliste et narratif. Dans Love, présenté en 2018 au Théâtre de l’Odéon, l’ex-assistant de Peter Brook donnait à observer, dans un ultra-naturalisme scénique, la vie d’un centre social anglais quelques semaines avant Noël. L’amplitude temporelle de son récit s’élargit largement ici et l’esthétique quasi cinématographique de Love laisse la place à des changements de décor à vue et à d’habiles jeux d’espaces emboîtés, comme les périodes successives de nos vies. La fresque se déploie à coup de rideaux tirés et d’ellipses temporelles malicieusement rendues, à base de costumes iconiques des époques traversées, mais aussi de changements de rôles des interprètes extrêmement malicieux. La mère soumise devient militante féministe, l’artiste peintre narcissique un homme vulnérable et sensible. Et au gré du temps comme de la vie, les personnages se reconfigurent à l’image des toilettes qui ne cessent de changer de place.
Tout commence au bal de la marine qui sonne la fin des études secondaires pour Alice. Fille d’une famille ouvrière qui a beaucoup épargné pour lui payer une école privée, elle ambitionne de faire des études à l’Université. Sa mère a d’autres projets pour elle – la marier avec un militaire qui la courtise – et, au premier échec scolaire, la jeune fille rejoint la voie toute tracée de femme au foyer à laquelle la société la prédestine. Virage ordinaire d’un âge où l’on cesse de rêver, surtout quand on est une jeune fille des lower class australiennes. Mais Alice résiste. Elle devient institutrice tout en tenant le foyer conjugal, puis décide de reprendre ses études et de divorcer d’avec ce marin falot avec lequel elle ne partage rien et qui la violente. Premier acte de courage qui la conduit à retrouver son ancienne copine de lycée, jeune femme de famille plus bourgeoise, plus libérée, enceinte et en couple avec une féministe notoire. Alice bascule alors dans un monde d’artistes et d’intellos, et celle qui faisait de si beaux croquis de pélican renonce à peindre, mais pas à parler d’art et s’engage dans un long travail de thèse. La suite, dans un milieu réputé progressiste, déroulera pourtant le même schéma : celui des difficultés à se faire transfuge de classe et surtout celui d’un patriarcat qui suinte de partout, des femmes autant que des hommes, qui entrave, qui viole même, mais qui malgré tout n’empêchera pas Alice de s’émanciper.
Voilà pour les grands traits d’une histoire qu’Alexander Zeldin a écrite et mise en scène d’une manière à la fois simple et passionnante, avec une troupe d’acteurs ébouriffante. Au premier plan, bien sûr, de tous les interprètes, Eryn Jean Norwill qui incarne en miroir avec son aînée, Almeda Brown, une Alice lumineuse, dont le destin ne cesse de nous parler et de nous émouvoir. Zeldin fait résonner derrière la thématique patriarcale les échos d’une voie possible d’émancipation par l’Art, l’ailleurs d’une Europe décorsetée, alors riche de traditions et porteuse de modernité sociétale, ainsi que les soubresauts de l’Histoire mondiale qui s’empare des destins individuels. Avec son écriture qui se remodèle sans cesse à l’épreuve du plateau, qui colle à ses interprètes, il délivre une composition dramaturgique qui, bien que globalement linéaire, reste sans cesse surprenante, ponctuée de moments sublimes comme, entre autres, la scène du viol et celui du bain rédempteur qui lui succédera. Car, si Zeldin s’inscrit dans la lignée traditionnelle d’un théâtre narratif miroir de notre société, il en renouvelle et en augmente le souffle à chaque nouveau spectacle, produit des récits où se tisse toute la complexité du réel qu’il croise avec des structures poétiques – ici par exemple, le mythe du pélican – sans jamais tourner le dos à la possibilité de la réconciliation. L’affleurement d’un pardon accordé ainsi à la toute fin de The Confessions pourrait constituer son extrême onction si et seulement si le patriarcat était mourant.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
The Confessions
Texte et mise en scène Alexander Zeldin
Avec Joe Bannister, Amelda Brown, Jerry Killick, Lilit Lesser, Brian Lipson, Eryn Jean Norvill, Pamela Rabe, Gabrielle Scawthorn, Yasser Zadeh
Scénographie et costumes Marg Horwell
Chorégraphie et mouvement Imogen Knight
Lumière Paule Constable
Musique Yannis Philippakis
Son Josh Anio Grigg
Direction de casting Jacob Sparrow
Collaboration à la mise en scène Joanna Pidcock
Travail de la voix Cathleen McCarron
Soutien dramaturgique Sasha Milavic DaviesProduction Compagnie A Zeldin
Commande The National Theatre of Great Britain, RISING Melbourne, Théâtres de la Ville du Luxembourg
Coproduction Wiener Festwochen, Comédie de Genève, Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris), Centro Cultural de Belém (Lisbonne), Théâtre de Liège, Festival d’Avignon, Festival d’Automne à Paris, Athens Epidaurus Festival (Grèce), Adelaide Festival, Centre dramatique national de Normandie-Rouen
Avec le soutien du ministère de la Culture Drac Île-de-France
Résidences Les Théâtres de la Ville du Luxembourg, RISING Melbourne, The National Theatre of Great Britain
Alexander Zeldin est artiste associé au National Theatre of Great Britain, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, aux Théâtres de la Ville du Luxembourg et au Centre dramatique national de Normandie-Rouen
Mécènes de la production Nancy et Michael Timmers, David Schwimmer, Cas Donald, Elisabeth de Kergorlay, Mazdak Rassi et Zanna Roberts Rassi, Andrew et Raquel Segal, Victoria Reese et Greg Kennedy, Studio Indigo Architects & Interior DesignersDurée : 2h15
Festival d’Avignon 2023
La FabricA
du 17 au 23 juillet, à 16hOdéon – Théâtre de l’Europe, Paris
du 29 septembre au 14 octobreComédie de Genève
du 8 au 12 novembreThéâtre de Liège
du 15 au 18 novembreLa Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale
du 22 au 24 novembreThéâtres de la Ville de Luxembourg
du 3 au 5 mai 2024
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