Deux ans après le Portrait qui lui était confié, Trajal Harrell ouvre le Festival d’Automne à Paris avec la première mondiale de the collection, une déambulation où quatre nouvelles pièces successivement présentées témoignent de la singularité de sa danse minimale et bigarrée au style fashion, aussi futile que torturé.
Quatre opus de format court, présentés à l’occasion de workshops en Belgique et aux Pays-Bas, sont au programme de the collection. Trois d’entre eux, A Ghost Ballet, Arena et Five Friends in Five Acts, se donnent en boucle dans l’atrium rose et vert pastels de l’ancien établissement scolaire devenu lieu de résidence pour artistes émergents qu’est l’Artagon Pantin, un lieu atypique sur lequel Trajal Harrell a voulu que règne l’esprit fourmillant de l’Asubesuto-kan (Asbestos Hall), le studio tokyoïte fondé par Tatsumi Hijikata qu’il a régulièrement fréquenté. Toujours ouvert à la circulation des spectateurs qui sont pour la plupart debout et déambulant, l’espace se reconfigure à l’envi en frontal, bi-frontal ou circulaire, et offre en permanence des points de regard pluridirectionnels.
Dans ce copieux programme, le chorégraphe passé par le théâtre avant de basculer dans la danse expérimentale reste fidèle aux principes esthétiques qui sont les siens depuis ses premières créations dans les années 2000. En équilibre entre apparente banalité et quête de sophistication, il place le corps polymorphe et le textile composite au cœur d’un geste qui met en scène son attrait pour l’apparat et qui questionne l’identité. Comme la playlist qui l’accompagne, la soirée repose singulièrement sur le mélange. Le débordement et la difformité grimaçante foisonnent dans l’économie formelle. En jouant à outrer et distordre les poses des podiums de mode, Trajal Harrell et ses danseurs font du mouvement un moyen d’affirmation et d’autodétermination, tout en instaurant une proximité et une connivence évidente avec le public.
La soirée s’ouvre et se ferme avec A Ghost Ballet, qui se présente comme un défilé. Ses quatre interprètes, Trajal Harrell compris, enchaînent successivement les entrées et les sorties. Suivant la courbe d’un demi-cercle dessiné au sol à la craie, ils se lancent dans d’infinis tours de piste, aussi furtifs que calibrés, et affichent leur présence vaporeuse ou tortueuse, désinvolte ou provocante. La pièce, à la fois grave et cocasse, laisse apparaître, s’échapper même, quantité de figures, des gravures de mode ou d’autres plus marginales, grotesques et suppliciées. D’insolites fantômes d’allure carnavalesque en collants de danse académique blancs et noirs se juchent sur demi-pointes. Ne dérogeant pas à la règle, le costume est toujours un accessoire primordial chez l’artiste-styliste, qui déploie un vestiaire pléthorique de vêtements hétéroclites.
Arena s’inspire librement de la pièce Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès. Autour d’un deal flou qui ne dit jamais le nom de l’objet potentiellement échangeable, les deux personnages que sont le dealer et le client se jettent à corps perdu dans une joute sans fin où l’affrontement et la violence sévissent inexorablement. La proposition de Trajal Harrell fait évidemment l’économie du moindre mot, mais réinvente la sauvagerie quasi animale dans la mobilité et l’attitude des corps eux-mêmes. L’une face à l’autre, les deux interprètes se déshabillent et s’échangent leurs vêtements, puis se tournent le dos et s’éloignent pour regagner des trajectoires qui jamais plus ne se rencontrent. À distance, elles se toisent, se provoquent, jusqu’à déclarer ouvertes les hostilités lorsque leurs mains miment les coups tirés par des pistolets.
Si le divertissant Five Friends in Five Acts paraît assez anecdotique, le confidentiel The Powder Rooms est un court mais intrigant solo montré à heures régulières, en catimini, dans l’intimité de petites salles de classe situées au second étage. Donné deux fois à la suite devant un public très restreint de 15 personnes dans l’obscurité tenue, puis sous une lumière crue. D’abord juste devinés, puis mis à nu par l’éclairage, les gestes du danseur, se mouvant collé à un pan de mur, rendent sensible l’abîme, la blessure d’une personne fragilisée par la solitude et l’abandon. Loin du glamour et de la dérision auparavant convoqués, la pièce est pleine de beauté et d’expressivité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
the collection
Chorégraphie, costumes et son Trajal Harrell
Avec Vânia Doutel Vaz, Maria Ferreira Silva, Challenge Gumbodete, Trajal Harrell, New Kyd, Perle Palombe, Stephen Thompson, Songhay Toldon, Ondrej Vidlar
Dramaturgie Sara Jansen
Scénographie Nadja Sofie Eller, Trajal Harrell
Lumière Stéfane Perraud, Trajal Harrell
Direction technique et son Santiago Latorre
Responsable des costumes Sally HeardProduction Zürich Dance Ensemble
Coproduction Kunstenfestivaldesarts ; Holland Festival ; Tanzquartier Wien ; Festival d’Automne à Paris ; Museum Ludwig ; The Metropolitan Museum of ArtDurée : 3h
Vu en septembre 2025 au Artagon Pantin, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
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