Guillermo Pisani s’attaque à la figure du héros moderne dans une fable tout public accessible et joyeuse, empruntant à l’univers de la bande dessinée, qui n’évite cependant pas quelques maladresses.
Le metteur en scène accompagné de ses trois comédiens et comédiennes (Caroline Arrouas, Elsa Guedj et Arthur Igual, déjà présents dans Je suis perdu) nous regarde nous installer dans les gradins de la Cabane du Monfort. Problème : la moitié de la scène est obstruée par un panneau blanc qui masque une partie du plateau. Qui va avoir le droit parmi les spectateurs de voir la représentation ? “Trouvez un critère pour vous organiser” nous ordonne-t-on, avant de proposer : “les plus méritants ? Ceux qui ont le diplôme le plus haut ? Ceux qui ont payé le tarif le plus cher ?” Ainsi sont posées en préambule les questions qui sous-tendent la pièce : où se situe la notion de justice dans nos démocraties ? Quels modèles sont encore efficaces ? Où se situent le bien et le mal, si cher au manichéisme des comics américains ?
Car dans la BD version Guillermo Pisani, le héros n’est pas forcément celui que l’on croit. Ici, pas de cape ni de combinaison moulante, mais un jogging rouge et une calvitie naissante pour Super, un héros doté de pouvoirs de l’espace. Bien loin d’un Clark Kent ou d’un Batman, il tient plutôt du papa débordé et va se révéler rapidement dépassé par les événements. Désigné comme “héros national”, il doit résoudre une crise d’État majeure : le président de la République a été enlevé par une super-méchante, son ennemie de toujours, déguisée en influenceuse.
Super, accompagné du robot Robert, une intelligence artificielle censée sauver l’humanité de la catastrophe climatique mais devenu éco-anxieux car trop lucide, sa super voiture qui est au garage, sa super moto qui n’a plus d’essence, doit poursuivre son ennemie à vélo, se fait berner en permanence par des déguisements improbables, se fait larguer par sa femme, chercheuse au CNRS et doit gérer à la maison ses deux ado en manque d’attention.
Pour le scénario prenez donc un canevas type des comics américains, avec courses-poursuites et bagarres, ajouterez-y en arrière-plan une crise écologique dans un contexte d’expansion numérique débridée. Une trame narrative volontairement aussi dépouillée que le décor sur scène : seulement une table et une chaise habillent le plateau. Le principal se déroule sur le mur du fond : les dessins animés et rétro-projetés de Barbara Ferraggiolo habillent l’action, transformant les personnages en figure de bande-dessinée. Et bien entendu, les onomatopées propres à la BD laissent des traces dessinées sur le mur lors des scènes d’action. Si ce décor dynamique nous permet de voyager de l’intérieur de l’appartement familial, aux rues de Paris, puis sur le toit de la tour Montparnasse, ou devant les grilles du palais de l’Elysée, les dialogues esquissés entre le dessin projeté et le jeu mériteraient d’être explorés plus en profondeur afin de donner de l’ampleur aux images et de la force à une esthétique qui gagnerait à se déployer davantage.
Alors, qui est réellement le héros de cette histoire ? Le papa as been, concentré sur sa vengeance personnelle contre son ennemie de toujours et dont les gadgets ne semblent plus pouvoir grand-chose pour sauver l’humanité ? Le robot omniscient qui traite de la data à la vitesse de la lumière et peut ainsi calculer en temps réel les minutes qui nous séparent de la fonte définitive des glaciers ? La maman, chercheuse au CNRS, créatrice de cette intelligence attachante et presque humaine ? Ou bien Liz, l’adolescente figure de candeur et qui, décidément, trouve que tout cela n’est pas juste : “peut-être que tu n’es pas la solution” se dresse-t-elle finalement contre son père. “Peut-être même que tu es une partie du problème. Aucun super-pouvoir ne peut sauver ce monde qui n’en fini pas de finir”. Entre l’individualisme de son père et sa mère techno-centrée, Liz trouve que ni l’un ni l’autre ne propose de véritable solution à la catastrophe climatique à laquelle sa génération va être confrontée. “Nous n’avons pas provoqué le problème mais nous en subissons les conséquences” se désole-t-elle.
La jeune génération a donc la part belle dans cette fable accessible à tous et joyeuse qui n’évite cependant pas quelques maladresses de rythme, avec une intrigue qui patine par moment (une méchante qui n’en fini pas d’être insaisissable, des scènes d’intérieur redondantes) et un univers visuel qui gagnerait à se muscler davantage. Super, un héros presque parfait porte tout de même haut l’espoir d’une jeunesse, seule capable de prendre en main son destin, quand les artifices de pacotille des adultes montrent l’ampleur de leurs limites.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Texte et mise en scène Guillermo Pisani
Avec Caroline Arrouas, Elsa Guedj, Arthur Igual
Dessin Barbara Ferraggioli
Musique Nicolas Diab
Costumes Isabelle Deffin
Création vidéo Romain Tanguy
Animation vidéo Hervé Garcia
Conseil scénographie Céline Perrigon
Administration de production Virginie Hammel / Le Petit BureauProduction : Compagnie LSDI. Coproduction : Théâtre Le Colombier.
Soutiens : Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France ; Lilas en Scène ; TAG – Amin Théâtre compagnie (Grigny).© photo : CIE LSDI / Barbara Ferraggioli
Durée 1h10 – cabane – dès 8 ans
Le Monfort
Du 25 au 28 octobre 2023
mer. 14h30 & 19h / jeu. & ven. à 19h / sam. 14h30 & 18h
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