Après un Or du Rhin en demi-teinte, le Ring que signent Pablo Heras-Casado et Calixto Bieito à l’Opéra de Paris se ressaisit aussi bien musicalement que théâtralement avec une Walkyrie plus captivante et de bien meilleure tenue.
Si L’Or du Rhin donné à l’Opéra Bastille la saison dernière avait laissé une impression mitigée en plantant de façon maladroite son décor futuriste alliant haute technologie et profonde dystopie, La Walkyrie voit désormais s’étendre, se renforcer et se clarifier des lignes esthétiques et dramaturgiques qui placent au cœur du propos wagnérien les thèmes de la destruction et du désenchantement. De fait, les situations comme les relations humaines qui y sont présentées transpirent une noirceur et une violence forcément exacerbées. Après avoir présenté le Walhalla en big data, et fait de l’or convoité des données numériques, les Walkyries, dont la silhouette oscille entre la femme et le robot aux yeux perçants électroluminescents, chevauchent avec ardeur une débordante mosaïque d’images et d’informations projetées pêle-mêle sur la façade d’un géant décor métallique qui finit par se déliter.
Calixto Bieito place la première journée de la tétralogie wagnérienne dans un contexte où la guerre est omniprésente et fait rage sur tous les fronts : numérique, militaire, nucléaire, bactériologique… Si bien que les personnages munis de combinaisons, de masques à gaz et de pompes à oxygène dans le dos évoluent en tentant de survivre. Son propos gagne ainsi en densité. En fosse, Pablo Heras-Casado fait entendre un discours musical qui a, lui aussi, gagné en ampleur et en véhémence, sans pour autant renoncer au raffinement de sa direction. Même affectée par la lenteur de certains tempos, la dynamique est nettement plus audible. Le geste n’est pas des plus fougueux, mais il dépasse la méticulosité avec laquelle il met en valeur la beauté sonore de l’orchestre pour vraiment se doter d’une plus large expressivité.
La laideur ostensible, mais signifiante, au plateau n’évacue pas la pertinence de nombreuses propositions faisant preuve d’une grande sensibilité. Ainsi, Sieglinde et Siegmund, les jumeaux adultérins et incestueux sur lesquels s’ouvre la pièce, paraissent l’un et l’autre si vulnérables en clochards vagabonds qu’ils touchent indubitablement. L’un et l’autre bénéficient aussi de la stature vocale éblouissante et de l’engagement scénique de leurs interprètes. Stanislas de Barbeyrac est un Siegmund superbe de lyrisme lumineux. Depuis longtemps déjà, sa voix n’a plus seulement l’étoffe du chanteur baroque et mozartien qu’il a été. L’interprète affiche dans Wagner la plénitude de ses moyens actuels, tandis que le chant est toujours bien modulé. À ses côtés, Elza van den Heever est une poignante Sieglinde, non dénuée de tendresse, mais surtout pourvue d’une sauvage âpreté. Fugitifs clandestins, exténués et traumatisés, ils opposent au chaos du monde leur vibrante passion. Leurs corps éprouvés, couverts de plaies sanguinolentes, s’attirent tout en finesse et en volupté, se rejoignent sur un matelas de fortune posé au sol et s’enroulent sous un crasseux duvet.
L’acte II se situe dans un bureau faisant office de salle d’archives où – comme dans L’Or du Rhin – les murs vomissent des câbles électriques dans lesquels on découvre un Wotan vampirisé. Maladivement épris de modernité high-tech, il se gargarise d’avoir acquis ou inventé un véloce chien-robot, mais se dépite de la ruine qu’est devenue son utopie délitée. Brünnhilde est d’abord présentée en fillette costumée d’une robe de princesse qui joue avec une dérisoire tête de cheval accrochée à un manche en bois. Elle va ensuite quitter le monde de l’enfance pour se métamorphoser en jeune femme affranchie, émancipée, en pantalon et débardeur, et s’autoriser à désobéir aux délires de son père. Magnifique, Tamara Wilson se montre à la fois attachante et ultra-puissante dans le rôle qui profite de son timbre juvénile comme de sa redoutable force vindicative.
On s’étonnait de retrouver le nom de Iain Paterson sur la distribution annoncée après la contre-performance qu’il avait réalisée en janvier dernier dans L’Or du Rhin. Fort heureusement, le chanteur a été remplacé pour les premières représentations de La Walkyrie par Christopher Maltman, qui fait un Wotan d’une plus belle envergure. Couleur de bronze, sa voix est ronde avec ce qu’il faut de raucité, mais sans être univoquement éruptive. La mise en scène prend certes le parti de montrer peu de compassion pour le personnage qu’elle a tendance à ridiculiser au motif qu’il exerce une emprise totalitaire sur sa fille, mais se laisse totalement dominer par sa femme. La Fricka d’Ève-Maud Hubeaux était flamboyante dans le premier opus, mais elle déçoit ici par trop de vulgarité. De son côté, le baryton fait montre dans son chant comme dans son jeu d’une humanité complexe, à la fois autoritaire et désemparée. Son interprétation pleine de fureur funeste comme de tendre suavité émeut lors de l’invocation du Dieu, du feu, puis de l’adieu conclusif à sa fille endormie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La Walkyrie
Musique et livret Richard Wagner
Direction musicale Pablo Heras-Casado
Mise en scène Calixto Bieito
Avec Stanislas de Barbeyrac, Iain Paterson en alternance avec Christopher Maltman, Günther Groissböck, Elza van den Heever, Tamara Wilson, Ève-Maud Hubeaux, Louise Foor, Laura Wilde, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Katharina Magiera, Jessica Faselt, Ida Aldrian, Marvic Monreal, Marie-Luise Dreßen et E-doggy (chien-robot – Evotech)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Décors Rebecca Ringst
Costumes Ingo Krügler
Lumières Michael Bauer
Vidéo Sarah Derendinger
Dramaturgie Bettina AuerProduction Opéra national de Paris
Durée : 5h (entractes compris)
Opéra Bastille, Paris
du 11 au 30 novembre 2025


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