
© Frédéric Iovino
Dans Sous les Fleurs, le chorégraphe Thomas Lebrun invoque les « muxes », troisième genre de la culture Zapothèque au Mexique, où il est allé à leur rencontre. En corps et en parole, il donne à voir leur grâce et leur mélancolie.
Dans l’obscurité surgissent cinq silhouettes en robes, la tête surplombée d’une couronne de fleurs. On croirait cinq Frida Khalo. Ces longues robes aux motifs floraux chatoyants sont des tenues traditionnelles des femmes de la culture Zapothèques. Le chorégraphe Thomas Lebrun les a rapportées de son voyage au Mexique, à Juchitán de Zaragoza, une ville de la vallée d’Oaxaca au Mexique où a évolué la civilisation précolombienne zapothèque. C’est là qu’il a rencontré les muxes, nom qui désigne le troisième genre dans cette culture, auquel la colonisation a imposé la binarité du genre. Dans Sous les Fleurs, il fait état de cette rencontre, notamment avec la militante muxe Felina Santiago Valdivieso, en paroles et en corps.
Presque à la manière d’un strip-tease, les cinq interprètes se dévoilent peu à peu. D’abord bien corsetés dans les robes, ils ôtent progressivement apparaissent peu à peu torse nu. Les états de corps évoluent aussi, couvrant une large palette émotionnelle, bien que ténue : la langueur d’un mouvement de bras, la mélancolie d’un port de tête puis un tremblement qui envahit le corps comme une décharge électrique. La chorégraphie repose sur des poses et attitudes (mains posées sur les genoux, menton dans le coude), qui se déplient avec retenue.
Sous les Fleurs est-il un portrait hommage aux muxes rencontrées ? Thomas Lebrun et ses interprètes évitent le piège de l’imitation, en distillant des gestes quotidiens (comme coudre ou tenir sa jupe), une ambiance de doux spleen, renforcée par les mimiques impassibles (peut-être de la colère froide ?) et les bustes penchés avec indolence, que l’on imagine observée lors du périple. Les paroles de Felina Santiago Valdivieso fondatrice de l’association pour les muxes Muxes Antenticas intrepidas buscadores del peligro de Juchitan, résonnent (en espagnol sans sur-titrage) dans la salle, devenant un figure tutélaire invisible. Grâce à un livret distribué juste avant le spectacle, on découvre la teneur de ce témoignage : l’acceptation de son genre, son parcours mais aussi la situation sociale des muxes au Mexique qu’elle résume par cette formule : “ Il y a beaucoup d’ouverture, mais il n’y a pas d’acceptation totale. C’est pas non plus le paradis”.
“Sous les fleurs”, il y aurait une tristesse latente ? La mélancolie et les difficultés qui se mêlent à la joie et à la fierté ? Si cette pièce pourrait être un carnet de voyage, cette plongée dans les paroles et la corporéité des muxes, entre en dialogue avec la transidentité et la non-binarité pensées en Occident. Elle apparaît comme une ode à la féminité et un rejet des injonctions viriles imposées aux hommes et aux personnes assignées comme tels à la naissance. En témoigne le Kid d’Eddy de Pretto qui termine d’emplir la salle d’émotion.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Sous les fleurs
Chorégraphie : Thomas Lebrun
Interprètes : Antoine Arbeit, Raphaël Cottin, Arthur Gautier, Sébastien Ly, Nicolas Martel
Musiques : Trio Monte Alban, Maxime Fabre, Susana Harp, La Bruja de Texcoco (arrangement Seb Martel), Banda Regional Princesa Donashii, Rocio Durcal, Hector Berlioz, Eddy de Pretto, et avec la voix de Felina Santiago Valdivieso
Création lumières : Françoise Michel
Création son : Maxime Fabre
Création costumes : Thomas Lebrun, Kite Vollard
Masques : Ruua Masks
Conception scénographie : Xavier Carré, Thomas Lebrun
Construction : Atelier du T° – CDN de Tours
Régie générale : Xavier Carré
Régie son : Clément Hubert
Assistante sur le projet : Anne-Emmanuelle Deroo
Chercheur anthropologue : Raymundo Ruiz González
Remerciements : Felina Santiago Valdivieso, Benito HernandezProduction : Centre chorégraphique national de Tours ; Coproduction : Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux, La Rampe-La Ponatière – Scène conventionnée-Échirolles. Le CCNT est subventionné par le ministère de la Culture – DGCA – DRAC Centre-Val de Loire, la Ville de Tours, le Conseil régional Centre-Val de Loire, le Conseil départemental d’Indre-et-Loire et Tours Métropole Val de Loire. L’Institut français contribue régulièrement aux tournées internationales du Centre chorégraphique national de Tour
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