Dans Soul Chain, la chorégraphe israélienne Sharon Eyal propose de mener une revue déconnante et disloquée sur fond de musique techno. En grande forme physique, les danseurs de l’ensemble tanzmainz réalisent une performance époustouflante.
Ancienne danseuse puis chorégraphe et directrice artistique associée de la Batsheva Dance Company, Sharon Eyal porte un geste à la vitalité et à l’intensité viscérales, tripales même, qui à l’évidence continue de voisiner de près avec celui d’Ohad Naharin et sa danse « gaga ». Pour preuve s’il en faut, Soul Chain, une des plus fameuses pièces de la chorégraphe qui a remporté le prix de théâtre allemand DER FAUST en 2018, arrive enfin à Paris. Programmée par le théâtre de la ville, elle se joue au 104, après une succession d’annulations et de reports liés au contexte incertain de la pandémie de Covid-19, et emballe totalement le public survolté.
Quand en 2013, Sharon Eyal crée sa propre compagnie L-E-V avec son collaborateur de longue date Gai Behar, reconnu dans le milieu de la musique live à Tel Aviv, elle semble poser pour fondements et moteurs de son œuvre la choralité, la pulsatilité et l’impulsivité. La chorégraphe interroge les effets de masses et joue fortement des contrastes entre l’unité du groupe et la singularité de ses composants. Dans une simplicité et une inventivité évidentes, la pièce Soul Chain a l’immense qualité de parvenir à stimuler l’expressivité des danseurs pourtant plongés au cœur d’une forme qui peut sembler rigide et véritablement contraignante.
Dans une simple boîte noire embrumée de fumigènes, ce ne sont pas moins d’une vingtaine d’interprètes sur le plateau, hommes et femmes uniformément costumés d’un simple body unisexe de couleur chair rappelant le corset féminin agrémenté de mi-bas. L’ensemble évoque les sous-vêtements des années folles ou de la Belle époque. Ils entrent en solo, en duo, en trio, suivent de longues diagonales et défilent, droits comme des I, mains sur les hanches, sur la pointe des pieds comme juchés sur des talons aiguilles inexistants, à la manière désuètes de pin-up paradant. Ils ne quitteront plus la scène et y formeront en parfaite synergie un tout respirant qui palpite en rythme et suit une large palette de mouvements tantôt fluides et ondulants, tantôt plus secs et abrupts.
La pièce qui semble inspirée d’un numéro de music-hall ou de cabaret qu’elle pervertit aussitôt ne cherche pas l’élégance, ne tire pas vers la séduction aguicheuse et facile. Le geste est moins poli. Il déjoue les attentes et se moque des apparences. Le groupe transpire en permanence d’un irrépressible désir de résistance et de transgression, d’autant d’états, de sentiments intérieurs que Sharon Eyel et ses danseurs cherchent à extraire, à faire s’extirper et se libérer des corps qui exultent dans l’urgence.
Ainsi, la troupe s’apparente à une galerie de mannequins à la fois gracieux et grotesques qui à mesure d’infatigables mouvements de répétitions, de variations, de dislocations, se défont des canons esthétiques perfectionnistes voire masochistes de la danse avec lesquels la pièce joue et gagnent en liberté, en excentricité, en énergie folle et en ridicule assumé. Le spectateur lâche prise et s’étourdit de tant de virtuosité matinée d’humour et de sensualité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Soul chain
chorégraphie : Sharon Eyal
co-création : Gai Behar
costumes : Rebecca Hytting
composition : Ori Lichtik
lumières : Alon Cohen
assistants de la chorégraphe : Rebecca Hytting, Tom Weinbergerdirection des répétitions : Andrea Svobodova
danseurs : Madeline Harms, Daria Hlinkina, Bojana Mitrović, Nora Monsecour, Amber Pasters, Maasa Sakano, Marija Slavec, Milena Wiese; Justin Brown, Zachary Chant, Finn Lakeberg, Cornelius Mickel, Sándor Petrovics, Matti Tauru, Louis Thuriot, John WannehagDurée : 1h
Au 104 avec le Théâtre de la Ville
Du 27 sept au 01 oct. 2021
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