Transplantée dans un inspirant univers science-fictionnesque, la nouvelle Bohème de l’Opéra de Paris que signe le metteur en scène Claus Guth est à la fois galactique et anecdotique.
Après une Damnation de Faust sur la planète Mars, voici une Bohème installée sur la Lune. Si nombre de chefs-d’œuvre du répertoire lyrique se prêtent aisément au jeu de la transposition à tout va, La Bohème de Puccini demeure souvent cantonnée à l’imagerie illustrative et hyper référencée du type mansarde froide et précaire, poêle fumant, pavé usé et nuit enneigée. La mise en scène de Jonathan Miller qui a tenu l’affiche de l’Opéra de Paris pendant vingt ans usa jusqu’à la corde ces éléments pittoresques aussi charmants que désuets. Ce n’est pas du tout le parti pris par Claus Guth et son équipe artistique qui présentent une production innovante de La Bohème où, dans un futur anticipé, Rodolfo et ses acolytes se trouvent pris au piège d’une expédition spatiale foireuse. Manquant d’oxygène et de ressources dans la capsule de sa navette en déroute puis délirant en sursis sur les monticules de fines poussières blanches d’un satellite non habité, le poète maudit devenu cosmonaute rédige son carnet de bord alarmiste et est visité par le souvenir étincelant de Mimi, une femme qu’il a autrefois éperdument aimée. Celle-ci apparaît comme un fantôme vêtu d’une petite robe écarlate qui fait écho aux contours rougeoyants de la planète abordée.
Sauvagement chahutée après l’entracte, la spectaculaire scénographie d’Etienne Pluss est pourtant la chose la plus réussie dans cette proposition insolite. L’ajout d’intermèdes nappés de sons troubles et étouffés qui évoquent l’haleine du monde invite à la contemplation de la désespérance et du catastrophisme ambiant. Mais tout cela n’est que décor, habillage. Ce qui se joue dedans est bien moins convaincant. Ce n’est pas la première fois que Claus Guth se perd dans des lectures bien trop sophistiquées. Télescopage des espaces-temps, dédoublement des rôles, considérations psychologiques alambiquées, autant de procédés qui lassent et éclairent peu. A cela s’ajoute une direction d’acteurs aussi convenue que les occurrences d’un music-hall de pacotille (déjà vu dans son Rigoletto sur cette même scène) avec force artistes circassiens qui replantent ineptement l’œuvre dans le jus dont on voulait l’extraire !
On attendait Sonya Yoncheva qui, après l’aristocratique Elisabeth de Valois dans le Don Carlos de Verdi, devait interpréter la plébéienne Mimi. La diva étant souffrante, c’est Nicole Car qui a défendu le rôle et a formé avec Atalla Ayan un duo bien chantant mais pas transcendant, solidement secondés par un plateau convenable mais peu mémorable où le baryton Arthur Rucinski tire son épingle du jeu tandis qu’Aida Garifullina déçoit dans le rôle de Musetta.
Gustavo Dudamel fait ses débuts dans la fosse de l’Opéra de Paris avec une œuvre qu’il connait bien pour l’avoir déjà dirigée à Berlin et à Milan. Le chef vénézuélien a habitué à une fièvre et une fougue étourdissantes dans le répertoire symphonique à la tête de son orchestre Simon Bolivar comme des plus grandes phalanges internationales. Il fait preuve ici d’un lyrisme dénervé, d’une langueur saturnienne. Privilégiant le calme et la lenteur, il semble éteindre la flamme plutôt que de la rallumer. A l’image du spectacle, un Puccini morose se trouve dans la panade mais en apesanteur.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
LA BOHÈME
Giacomo Puccini
OPÉRA EN QUATRE TABLEAUX
1896
MUSIQUE
Giacomo Puccini (1858-1924)
LIVRET
Giuseppe Giacosa, Luigi Illica
D’APRÈS
Henry Murger, Scènes de la vie de bohème
En langue italienne
Surtitrage en français et en anglais
DIRECTION MUSICALE Gustavo Dudamel*, Manuel López-Gómez (7, 23 > 31 déc.)
MISE EN SCÈNE Claus Guth
DÉCORS Étienne Pluss
LUMIÈRES Fabrice Kebour
CHORÉGRAPHIE Teresa Rotemberg
DRAMATURGIE Yvonne Gebauer
CHEF DES CHOEURS José Luis Basso
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris
MIMI Sonya Yoncheva (1 > 12 déc.), Nicole Car (16 > 31 déc.)
MUSETTA Aida Garifullina
RODOLFO Atalla Ayan* (1 > 16 déc.), Benjamin Bernheim (18 > 31 déc.)
MARCELLO Artur Ruciński
SCHAUNARD Alessio Arduini (1 > 21 déc.), Andrei Jilihovschi (23 > 31 déc.)
COLLINE Roberto Tagliavini
ALCINDORO Marc Labonnette
PARPIGNOL Antonel Boldan
SERGENTE DEI DOGANARI Florent Mbia
UN DOGANIERE Jian‑Hong Zhao
UN VENDITORE AMBULANTE Fernando Velasquez
*Débuts à l’Opéra national de ParisDurée 2h30
Théâtre de la Bastille
12 représentations du 1er au 31 décembre 2017
Avant-première le 28 novembre 2017, réservée aux moins de 28 ans
Retransmission en direct dans les cinémas le 12 décembre 2017,
sur Culturebox et sur France 3 ultérieurement.
Diffusion sur France Musique le 14 janvier 2018.
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