Avec un goût immodéré pour l’hémoglobine et le fumigène, Markus Öhrn réinvente radicalement La Sonate des spectres de Strindberg en un rituel étrange, trashement cauchemardesque.
Entre réel et irréel, la pièce est une énigme insaisissable où les morts visitent en songe le monde des vivants. Elle appartient au « théâtre de chambre » du dramaturge norvégien qui quitte le naturalisme dans lequel il a confiné ses œuvres les plus fameuses pour annoncer l’expressionnisme et le théâtre de l’absurde.
On pénètre en file indienne sur la scène de la grande salle des Amandiers à Nanterre au sons des accords d’un orgue solennel. Le dispositif quadri-frontal compte 161 places comme la petite salle du Théâtre Intime à Stockholm où l’auteur créa sa Sonate des spectres en 1907. La représentation, ainsi donnée à huis clos, évolue entre les cloisons hostiles de boîtes dont l’une représente la salle à manger de l’horrible maison du colonel où se tient un piteux souper. Les acteurs s’y dissimulent et les images projetées sur écran reproduisent ce qu’ils jouent en direct. A l’extérieur, la chambre aux jacinthes prend l’attrait d’un mini jardin où trône une statue de papier mâché dans une piscine à boudins gonflables. S’y révèlent les frustrations les moins répressibles et se libèrent les désirs les plus transgressifs. C’est un monde d’une artificialité évidente, sans beauté, sans noblesse, qui s’offre au regard des spectateurs mais il se déploie un univers fascinant et hallucinant peuplé de créatures étranges, sortes de pantins infantiles aux petits corps alertes, aux têtes démesurément grosses comme des ballons. Leurs expressions figées, narguantes et grimaçantes, torturent les esprits effrayés mais amusent les plus dégourdis.
Dans une esthétique très « Volksbühne », l’iconoclaste Markus Öhrn construit des visions fortes, concrètes et démentes à la fois, issues d’un univers punk gothique qui lui est familier. Sans couper ou modifier le texte (ardu) de la pièce, mais prenant ses distances avec la vérité des êtres, il niche sa lecture de l’œuvre dans les zones inconfortables et dérangeantes de l’inconscient et de la pulsion malsaine et anxiogène. L’outrance qui confine à la parodie ouvre des perspectives tout à fait originales et inspirantes d’une totale cohérence.
La magnifique troupe polonaise du Nowy Teatr, l’institution que dirige Krzysztof Warlikowski à Varsovie, est formée de comédiens au jeu stupéfiant. Figures masquées et voix déformées, ils demeurent de fortes présences, totalement engagées à donner corps et vie à cet univers puissamment subversif entre fantasmagorie macabre et anti-bourgeoisisme blagueur.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Sonata Widm (La Sonate des spectres)
PREMIÈRE EN FRANCE
Mise en scène, scénographie et son
Markus Öhrn
Texte « La Sonate des spectres »
August Strindberg
Avec
Ewa Dałkowska, Bartosz Gelner, Helena Gąsiejewska, Małgorzata, Hajewska-Krzysztofik, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Maria Łozińska, Joanna Niemirska, Jakob Öhrman, Piotr Polak, Jacek Poniedziałek, Magdalena, Popławska
Création lumières
Marta Pruska
Vidéo
Jakob Öhrman
Assistant vidéo
Hanna Maciąg
Sculpture
Wojciech Pustła
Sculpture harpe
Tilda Lovell
Masques
Julia Cieślak
Assistants costumes
Krystan Jarnuszkiewicz, Katarzyna Sankowska
Interprétation des Valkyries
Linus Öhrn, Janne Lounatvuori
Adaptation musique
Jan Duszyński
Assistant à la mise en scène
Romuald Krężel
Traduction en polonais
Anna Topczewska
Photographie
Magda Hueckel
En polonais surtitré en français
Durée 1h40Nanterre Amandiers
Du 19 au 22 janvier 2018
Lun., ven. à 20h30
sam. à 18h
dim. à 15h30
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