Fidèle à sa pratique d’une « dramaturgie plurielle », Julie Berès aborde dans Soleil Blanc la question environnementale en mêlant fable et documentaire. En tentant, en vain, de se frayer un langage personnel entre cinéma, jeu et théâtre d’objet.
Certains sont perchés comme le baron d’Italo Calvino dans des arbres dont ils font des royaumes. D’autres flottent sur un radeau qu’ils ont eux-mêmes bricolé avec quelques bouteilles en plastiques et des planches de bois, tandis qu’une dernière dit en quelques mots et force moues sa liberté réduite par le contrôle parental. Et sa manière de s’en accommoder. Issus de milieux sociaux et scolaires divers, les très jolis enfants interrogés par Julie Berès et filmés par Christian Archambeau, Jonathan Michel et Clémence Diard, introduisent à travers un court métrage d’une dizaine de minutes la question centrale de Soleil Blanc : le lien entre la « crise écologique » et l’éducation. Tentative de séduction, ou prologue à une enquête béton ? On hésite, avant que le cinéma ne laisse place au théâtre.
Sans transition, les enfants plus ou moins sauvages du documentaire sont remplacés par cinq comédiens réunis pour interpréter L’Île interdite. Un conte inédit de Joël Jouanneau, où le thème mythique de l’enfant sauvage est traité de manière plus mythique encore. À travers une histoire située au commencement du monde : celle de Korb (Valentine Alaqui), élevé dans la forêt par des loups après la mort de sa mère puis recueilli par un Maître (Laurent Cazanave) aussi étrange qu’autoritaire. Isolés sur une île, avec pour seule compagne la jeune et mystérieuse Annj (Mélanie Couillaud). On pense bien sûr à Victor de l’Aveyron, dont le destin a inspiré à François Truffaut l’inoubliable Enfant sauvage (1969). D’autant plus que L’Île interdite est loin d’être à sa hauteur.
Montrées à travers une série de tableaux très visuels, les différentes étapes du « dressage » de l’enfant sont trop clichées pour dire autre chose que le désir de Julie Berès d’échapper au didactisme. Ce qu’elle parvient en effet à faire, mais sans réussir à proposer autre chose. Manifeste dès les origines de sa compagnie Les Cambrioleurs, née en 2001 de la réunion d’artistes issus de différentes disciplines (interprètes, vidéastes, plasticiens, circassiens, marionnettistes et musiciens), sa quête d’une « dramaturgie plurielle » aurait pu inviter à un questionnement des représentations de la figure de l’enfant sauvage. Elle en brouille plutôt la lecture, jusqu’à rendre confus son lien avec la crise environnementale dont elle voulait pourtant faire le sujet de son spectacle.
Entre le documentaire initial et un court oratorio composé avec l’aide de Kevin Keiss, la fable centrale se perd en effet dans les explorations multiples menées par Julie Berès et les artistes qu’elle a réunis dès le début du processus de création. Agrandies et transformées en paysages vidéo grâce à des caméras qui circulent à vue sur le plateau, les très belles maquettes construites par l’Atelier du Grand T et par le Théâtre de Loire-Atlantique perdent de leur pouvoir d’émerveillement. Les chants de Kyrie Kristmanson, affublée comme la conteuse Mia Delmaë de très kitchs robes blanches et de couronnes de fleurs, n’empêchent pas le massacre. Au contraire, ils en soulignent l’étendue en accompagnant l’imagerie platement onirique des vidéos. « D’où vient notre rapport au monde et à la nature, sinon de notre éducation ? », s’interrogeait Julie Berès à l’origine de Soleil Blanc. La question restera en suspens.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Soleil Blanc
Conception et mise en scène : Julie Berès, Compagnie Les CambrioleursConte librement inspiré d’une fable inédite de Joël Jouanneau, L’Île interdite. Épilogue composé avec l’aide de Kévin Keiss, mise en contraste de déclarations de scientifiques, journalistes, chercheurs ou philosophes
Avec : Laurent Cazanave, Valentine Alaqui, Mélanie Couillaud, Mia Delmaë, Kyrie Kristmanson
Documentaire : Julie Berès, Christian Archambeau, Jonathan Michel, Clémence Diard
Collaboration artistique : Aurélie Droesch-Du Cerceau
Dramaturgie : Pierre Chevallier
Création sonore et musicale : David Bichindaritz et Kyrie Kristmanson
Création lumières : Christian Dubet
Création vidéo : Christian Archambault et Jonathan Michel
Scénographie : Julien Peissel
Costumes : Marie-Cécile Viault
Coiffes et maquillages : Cécile Kretschmar
Confection des costumes : Atelier du Théâtre des Célestins
Chorégraphie : Jessica Noita
Régie générale : Marco Benigno et Sylvain Ricci
Régie son : Chloé Levoy
Régie lumières : Jérémie Fally
Régie plateau : Benjamin Vigier
Administration : Béatrice Catry et Annabel Decoust
Photographies : Axelle de Russé
Avec la contribution artistique de : Armel Veilhan, Elise Boch, Leslie Six, Karim Bel Kacem, Azéline Cornut, Julien Schaferlee, Nicolas Guichard, Camille Riquier
Production déléguée : Théâtre des Célestins – Lyon
Coproductions & Résidences : Théâtre de la Ville – Paris / Théâtre des Célestins – Lyon / Théâtre Romain Rolland – Villejuif / Théâtre de Chelles / Le Grand R, Scène nationale Roche-sur-Yon / Scènes du Golfe, Théâtres Arradon – Vannes / Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national / Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique / Pont des Arts – Cesson-Sévigné / Compagnie Les Cambrioleurs
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Avec le soutien du Conseil Départemental du Finistère, Fonds de dotation du Quartz (Brest)
Durée : 1h30
Théâtre des Abbesses
Du 22 novembre au 1er décembre 2018Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique
Les 5-6-7 décembre 2018Théâtre Dijon-Bourgogne, Centre dramatique national
Les 11-12-13 décembre 2018L’Hexagone, Scène nationale Arts-Sciences de Meylan
Les 10-11 janvier 2019Théâtre des Célestins de Lyon
Du 16 au 23 janvier 2019Espace des Arts de Chalon-sur-Saône
Les 29-30 janvier 2019Pont des Arts, Cesson-Sévigné
Le 2 février 2019Le Manège de Maubeuge
Le 12 mars 2019Comédie de Valence
Les 19-20 mars 2019Scènes du Golfe – Théâtres Arradon – Vannes
Le 29 mars 2019Le Quartz, Scène nationale de Brest
Les 4-5 avril 2019
Il y a des aspects relativement intéressants dans la pièce, mais qui sont purement formels : l’utilisation (façon d’être à la mode) de la vidéo qui donne une allure de théâtre d’ombres assez féérique aux projections sur grand écran) ; la manière dont des cameramen filment par exemple un aquarium pour faire basculer l’image, du microcosme au macrocosme de l’écran. Visuellement, c’est pas mal. Ça ne rend que plus accablant, le reste, qui est d’une désuétude confondante (à la limite, s’il n’y avait eu que ça, on se serait dit que c’est un spectacle pour enfants et basta). Le texte de Jouanneau est d’une grande pauvreté – surprenant de la part d’un metteur en scène qui a livré des adaptations remarquées de pièces de Beckett – et qui tente quelques échappées poétiques limitées (la forêt du jadis). Quant aux chansons, comme sorties d’une comédie musicale au rabais, elles sont vraiment mièvres et sirupeuses. On peut comprendre la démarche de Julie Bérès de vouloir sensibiliser sur des questions environnementales. On peut dire que le résultat est raté.