Sous l’égide du maître George Balanchine, deux pièces récentes font leur entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris : l’étonnamment impersonnelle Rhapsodies de Mthuthuzeli November et Corybantic Games de Christopher Wheeldon, renversante de beauté. Au long d’un programme intitulé Racines, elles revisitent l’héritage classique de la danse et font voyager de l’Amérique à la Grèce antique en passant par l’Afrique.
Né à Saint-Pétersbourg, Balanchine n’a cessé de sillonner les plateaux européens – Berlin, Londres et surtout Paris, capitale bouillonnante dans le milieu des années 1920, où il danse et chorégraphie plusieurs pièces pour les Ballets russes de Diaghilev – avant de traverser l’Atlantique où il continue de cultiver l’exigence d’une danse néoclassique comme son goût pour la culture de sa Russie natale, son amour pour la musique de Tchaïkovski et le style de Marius Petipa. L’Amérique se présente comme l’un des possibles fils rouges du programme intitulé Racines avec lequel de Ballet de l’Opéra ouvre sa saison à Bastille. Du point de vue chorégraphique, mais aussi musical, car la soirée enchaîne le swing enivrant de la Rhapsody in Blue de George Gershwin, musique choisie pour accompagner la pièce Rhapsodies, qui démontre l’influence de Robbins comme du style propre à Broadway, puis la luxuriante Serenade (after Plato’s Symposium) composée, dans une veine toute mahlerienne, par Leonard Bernstein sur laquelle se jouent les Corybantic Games de Christopher Wheeldon, ancien interprète du New York City Ballet.
C’est justement à New York que Balanchine créé en 1947 son ballet Thème et variations. Décor minimal. Costumes apprêtés. Ses interprètes évoluent tout en grâce et virtuosité sous deux lustres éclatants devant un fond azuré. Véloce, leur mouvement joue avec délice de la géométrie et de l’abstraction caractéristiques du chorégraphe. Les difficultés techniques sont réelles, mais se dissimulent judicieusement derrière l’aisance et le plaisir affichés par Valentine Colasante, pleine d’allégresse, et Paul Marque, absolument aérien, formant un couple d’une belle et confondante légèreté, entouré par un corps de ballet bien aligné, parfois divisé en groupes symétriques ou en guirlandes, qui se croisent et s’entremêlent dans un mélange de douceur et de gaieté.
De façon un peu abrupte, l’univers de Mthuthuzeli November fait ensuite son apparition avec Rhapsodies. On découvre un jeune artiste précédé d’une fort belle réputation : il crée des œuvres dans le monde entier avec le Washington Ballet (États-Unis), le Royal Ballet et le Northern Ballet (Royaume-Uni), le TanzLuzern et le Ballett Zürich (Suisse). Il a été nommé en 2022 pour le prix du meilleur soliste dans une production, puis a remporté le prix de la meilleure chorégraphie aux Black British Theatre Awards pour sa pièce Nina : By Whatever Means créée pour le Ballet Black. Sans doute ces différents titres révèlent la personnalité affirmée de l’artiste, qui déclare vouloir enrichir un vocabulaire néoclassique de son propre héritage de danseur de rue en Afrique du Sud. Cela est peut-être tout aussi visible dans Ingoma, où il rend hommage aux mineurs sud-africains en grève, ou dans Wailers, où il célèbre la vie et ses souvenirs d’enfance, mais ne l’est pas tant que cela dans Rhapsodies, qui paraît étonnamment impersonnelle, presque anodine. Une atmosphère mi-chaude, mi-froide teintée de nuées grisâtres et de néons froids évoque le spleen d’un paysage urbain peuplé de figures anonymes, désorientées dans un espace labyrinthique formé par différents portiques mouvants. La danse est efficacement réalisée, mais manque d’aspérités. Elle est aussi étale, ce qui contraste fortement avec la musique de Gershwin qui, elle, change constamment d’humeur. Seul le dernier ensemble est remarquable de force.
Après l’entracte, retour à la grâce absolue avec la rêverie des corybantes de Christopher Wheeldon, qui, tout en lascivité expressive, offrent leurs diaphanes et sculpturales silhouettes à une danse matinée d’un calme apollinien et d’une latente sensualité. Se déploie alors une fantasmagorie trouvant son origine dans l’hédonisme de la Grèce évoquée au moyen d’images simples, très stylisées : quelques lignes verticales suffisent à évoquer les piliers d’un temple en ruines inondé de lumières méditerranéennes, des gestes graphiques et aérés qui renvoient aux représentations antiques. Dans les duos, comme dans les ensembles, une harmonieuse alchimie est palpable entre les interprètes de qui émane un magnétisme extatique.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Racines
Thème et variations
Chorégraphie George Balanchine
Musique Piotr Ilyitch Tchaïkovski
Direction musicale Vello Pähn
Avec Valentine Colasante en alternance avec Bleuenn Battistoni, Inès McIntosh et Roxane Stojanov, Paul Marque en alternance avec Thomas Docquir, Francesco Mura et Lorenzo Lelli
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Lumières Perry SilveyRhapsodies
Chorégraphie Mthuthuzeli November
Musique George Gershwin
Direction musicale Vello Pähn
Avec Letizia Galloni en alternance avec Célia Drouy et Hohyun Kang, Yvon Demol en alternance avec Axel Ibot et Pablo Legasa
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Décors Magda Willi
Costumes Bregje van Balen
Lumières Martin Gebhardt
Piano Michel Dietlin en alternance avec Louis LancienCorybantic Games
Chorégraphie Christopher Wheeldon
Musique Leonard Bernstein
Direction musicale Vello Pähn
Avec Bleuenn Battistoni en alternance avec Naïs Duboscq, Thomas Docquir en alternance avec Lorenzo Lelli, Silvia Saint-Martin en alternance avec Roxane Stojanov, Pablo Legasa en alternance avec Enzo Saugar, Hohyun Kang en alternance avec Lucie Devignes, Inès McIntosh en alternance avec Nine Seropian, Jack Gasztowtt en alternance avec Francesco Mura, Florent Melac en alternance avec Alexander Maryianowski, Roxane Stojanov en alternance avec Valentine Colasante
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Décors Jean-Marc Puissant
Costumes Erdem Moralıoğlu
Lumières Peter Mumford
Violon Petteri Iivonen en alternance avec Frédéric LaroqueDurée : 2h (entractes compris)
Opéra Bastille, Paris
du 6 octobre au 10 novembre 2025
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