Laurent Gaudé travaille à la lisière.
Il évolue constamment sur cette frontière ténue entre le roman et le texte dramatique. C’est l’une de ses singularités dans le paysage théâtral français et l’une de ses forces.
Lors de la mise en scène de Cris à Théâtre Ouvert déjà en 2005, j’avais été frappé par ce dualisme en portant au plateau ce roman qui par ailleurs était dialogué de bout en bout.
J’avais alors me semble-t-il touché du doigt ce qui est l’une de ses caractéristiques : écrire,
décrire la menace, construire des dispositifs qui créent le danger à la fois chez le personnage mais aussi par ricochet sur le lecteur et (ou) le spectateur.
Dans Cris c’était la présence du surnaturel au coeur du récit (l’homme cochon mi-homme mi bête, lâché au milieu d’une description apparemment très réaliste de la vie et de la mort dans les tranchées de la Grande Guerre) alors que dans Sodome, ma douce la menace et le danger viennent de la narratrice qui place d’emblée le public au coeur de son adresse (sa harangue ?).
S’ensuit bien évidemment ce que l’on a coutume de nommer tension dramatique et Gaudé possède ce savoir-écrire là.
C’est un formidable technicien de la menace, oserai-je dire.
Mais au delà de cette virtuosité dramaturgique il y a un goût chez cet écrivain pour le désordre, la saleté, les chairs ouvertes, la putréfaction qui finit par brouiller (dans le bon sens du terme) les cartes. La mort et la maladie rôdent sans cesse dans son oeuvre, ici la peste noire, ailleurs (Sofia douleur) le Sida, ici encore (Cris) la boucherie des guerres et l’étal des corps.
Et puis il y a la figure des femmes, la figure de la Femme qui crève sans cesse le voile de l’écriture et naissent alors ode, apologie, chant. Femme bafouée, excisée, vendue, mise au ban de certaines sociétés.
Le théâtre de Laurent Gaudé est politique avec force et sans didactisme.
Celle de Sodome (c’est le nom du personnage qui prend la parole dans Sodome, ma douce) seule rescapée de la destruction de Sodome et Gomorrhe se lève dans la nuit par delà les Temps et, tel un ange exterminateur, offre cette vision apocalyptique d’un monde réduit à néant parce que mû par la haine (inoculée par les Dieux du monothéisme et perpétuée par leurs laudateurs) des hommes pour les femmes. Féministe, Laurent Gaudé ? Pas du tout. Mais inquiet, révolté et vigilant. Avec talent. Note d’intention de Stanislas Nordey
Sodome, ma douce de Laurent Gaudé
mise en scène Stanislas Nordey
Avec Valérie Lang
scénographie Emmanuel Clolus
lumières Stéphanie Daniel
Coproduction
Compagnie Nordey – Théâtre Ouvert
Editions Actes sud Papiers
vendredi 23 novembre au dimanche 30 décembre 2012
(Uniquement les vendredis et samedis à19h, les dimanches à 15h)
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