A la Scala Provence, lâauteur et metteur en scène Florian Pâque actualise le mythe de Sisyphe et fait le portrait des prĂŠcarisĂŠs, injustement dĂŠconsidĂŠrĂŠs et condamnĂŠs Ă ne jamais sâĂŠlever dans notre sociĂŠtĂŠ en panne dâascenseur social.
CondamnĂŠ par les dieux Ă porter vers les sommets un rocher qui finit toujours par retomber, Sisyphe est tragiquement destinĂŠ Ă ĂŠternellement ĂŠchouer et recommencer. Ne parvenir Ă sâĂŠlever, câest le mĂŞme triste sort que connaĂŽt un jeune homme coincĂŠ dans une cabine d’ascenseur qui demeure immobile. Il a beau appuyer sur tous les boutons, appeler Ă lâaide, soliloquer avec la voix de lâappel dâurgence ; rien nây fait. Il voudrait monter et reste bloquĂŠ au rez-de-chaussĂŠe.
MĂŠtaphore universelle du caractère absurde et vain de lâexistence, Sisyphe prend les traits pluriels d’un paysan-cultivateur dont les rĂŠcoltes ont ĂŠtĂŠ ravagĂŠes, d’un ouvrier remplacĂŠ par la machine Ă lâusine, d’une chĂ´meuse ne parvenant pas Ă trouver des missions dâintĂŠrim, d’un livreur Deliveroo qui parcourt infatigablement la ville sur son vĂŠlo, la tĂŞte dans le guidon et son gros sac bleu turquoise vissĂŠ sur le dos. Sisyphe pourrait ainsi se dĂŠcliner en quantitĂŠ dâindividus lambdas et ĂŠprouvĂŠs. Il porte un nom, un visage, une histoire. Câest BenoĂŽt et HĂŠlène, un jeune couple plein dâune fraĂŽcheur et dâune ardeur parfois entamĂŠes par lâadversitĂŠ. Ils vivent assez chichement, voudraient acheter un grand appartement mais nâont pas de garants. Ils attendent un enfant et savent devoir se sacrifier.
Aussi fine dans lâĂŠcriture (le texte est publiĂŠ aux ĂŠditions Lansman) que dans la rĂŠalisation scĂŠnique que signe Florian Pâque, la pièce se livre comme un ĂŠdifiant et ĂŠloquent plaidoyer engagĂŠ en faveur des prĂŠcarisĂŠs. Elle fait montre dâune belle empathie pour ses anti-hĂŠros jouĂŠs avec beaucoup de justesse par Loelia Salvador et Nicolas Schmitt, sans forcer le trait et avec une belle authenticitĂŠ. Ils sont des jeunes gens pleins de vie, pleins dâenvie, dâĂŠnergie, mais entravĂŠs par la sociĂŠtĂŠ qui ne leur permet pas dâavancer et de se rĂŠaliser. Ils rĂŠcusent Ă raison et avec la plus grande fermetĂŠ lâidĂŠe dâĂŞtre ou de passer pour des ÂŤ assistĂŠs Âť. Sisyphes est un spectacle qui sâancre Ă la fois très nettement dans le prĂŠsent et se prend Ă voyager dans le temps pour sâĂŠchapper vers une fantaisie loufoque bienvenue. Sur scène, se montrent la combattivitĂŠ des dĂŠshĂŠritĂŠs, mais aussi le cynisme des puissants, des autoritĂŠs entre autres reprĂŠsentĂŠes par un patron d’entreprise du siècle dernier, ou par un homme dâĂŠglise tout droit sorti du Moyen-âge, qui, avec une arrogance dĂŠmesurĂŠe, châtie et culpabilise les pauvres, mais se gargarise de chanter un miserere sous la forme dâun mauvais karaokĂŠ.
Parce que lâhistoire a commencĂŠ il y a très longtemps et quâil paraĂŽt impensable d’envisager son achèvement, parce quâelle nâa donc pas de dĂŠbut et nâaura pas de fin, Sisyphe est une figure de tous les temps et de notre temps. Une jeunesse pleinement convaincue et engageante en fait la forte dĂŠmonstration.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Sisyphes
Texte et mise en scène Florian Pâque
Avec Loelia Salvador, Nicolas Schmitt, Florian Pâque
Assistante à la mise en scène Margaux Debrade
ScÊnographie Marlène Berkane
Conception dÊcors Loelia Salavador, Nicolas Schmitt et Florian Pâque
CrĂŠateur sonore Camille VittĂŠ
CrÊateur lumières RaphaÍl Berthomeu
Costumes JĂŠrĂŠmy VittĂŠProduction Cie Le ThÊâtre de l’Ăclat & Cie Le Nez au Milieu au Village, Transat â Les Ateliers MĂŠdicis.
Partenaires Les FlorÊales ThÊâtrales, Plateau 31, Lavoir Moderne ParisienDurÊe : 1h15
Festival dâAvignon 2022
La Scala Provence
du 7 au 30 juillet, Ă 15h25 (les jours pairs)
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