L’Opéra-Comique propose une actualisation efficace du Fidelio de Beethoven. L’œuvre pétrie d’humanisme et d’idéalisme est placée par le metteur en scène Cyril Teste dans la froide réalité d’une prison contemporaine. A grand renfort d’images vidéo, le spectacle joue avec l’esthétique de la série policière, capte l’attention sans nier l’émotion.
En transposant l’œuvre dans un univers carcéral contemporain au moyen d’un réalisme cinématographique séduisant, cette nouvelle production de Fidelio a le mérite de rendre compte d’une intrigue romanesque digne d’un film ou d’une série télévisée et en même temps d’un propos politique et humain toujours frappant de justesse et d’actualité. Sur scène, de hauts murs bétonnés ou grillagés, des uniformes policiers, des gilets pare balle, des flingues, des menottes et des matraques – la panoplie complète du fonctionnaire d’un haut lieu de sécurité -, des lumières lugubres, des images en noir et blanc de vidéo-surveillance, tout de l’univers visuel et sonore parfaitement détaillé plante le décor d’une prison à l’atmosphère déshumanisée. Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, a été écrit dans une époque post-révolutionnaire toujours bouillonnante de répression et d’insurrection.
Dans cette ambiance délétère et autoritaire, les prisonniers, fouillés au corps, grillent une clope ou improvisent une partie de basketball dans un gymnase soudainement illuminé d’un rayon de soleil. Ils reçoivent aussi la visite de leurs familles et enfants, ce qui donne, au cours de l’émouvant « O, welche Lust » l’occasion d’une poignante étreinte entre un père détenu et son fils.
Il y a ainsi autant de désespérance que de sensibilité dans la mise en scène de la vie en prison. Beaucoup utilisée, soit en direct soit préenregistrée, la vidéo s’offre comme un soutien à l’intrigue et au jeu en permettant de démultiplier les angles de vue, en pénétrant notamment dans chaque recoins du dédale pénitencier, dont certains ne sont pas visibles de la salle, à commencer par la cellule de Florestan. Bien avant d’entonner son vibrant « Gott ! Welch Dunkel hier! », il apparaît à l’image, corps souffrant et violenté. Le personnage profite d’une incarnation de haute volée tant sur le plan dramatique que musical. Timbre clair, voix puissante, Michaël Spyres fait remarquablement se conjuguer rayonnement et plénitude du chant.
De la distribution globalement convaincante, citons aussi Gabor Bretz même s’il paraît légèrement sous-dimensionné pour véritablement incarner la monstruosité de Pizzaro. A l’inverse, toute l’humanité fatiguée transpire de la prestation de Albert Dohmen qui fait un Rocco plein d’empathie.
La première représentation du spectacle a aussi souffert d’un important imprévu. Annoncée souffrante, Siobhan Stagg n’a pu chanter le rôle-titre et a été remplacée au pied levé par Katherine Broderick, l’aigu un peu tendu mais la voix puissamment projetée depuis la fosse. L’engagement scénique et émotionnel absolu de la chanteuse au plateau a démontré qu’elle possédait toutes les qualités théâtrales pour camper le rôle. Même privée de son, c’est une forte interprétation qu’elle a proposée. Le corps tout fin comme le visage, les cheveux courts, elle est de tout son être cette femme à la fois fébrile et courageuse qui par amour prend tous les risques pour infiltrer l’équipe de gardiens et sauver son compagnon, dissident politique injustement emprisonné et condamné à mort.
Fragilisé dès l’ouverture par quelques approximations, l’ensemble Pygmalion gagne en ampleur et en profondeur au fur et à mesure de la représentation mais ne rend pas toujours pleinement justice à l’éloquence dramatique et à la richesse de l’écriture orchestrale au caractère délibérément symphonique, notamment par un manque de souffle, de moelleux sonore. Non pas que la lecture et la direction de son chef Raphaël Pichon ne se soucient de l’expressivité théâtrale, au contraire, elles se font exagérément nerveuses et brutales, elles restituent de manière trop sourde et sèche la violence du propos au détriment de la respiration, de l’élévation. A la fin, cependant, c’est debout que les musiciens habités d’une exaltante ferveur célèbrent avec tout le plateau la lumière et la liberté retrouvées.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Fidelio de Beethoven
Direction musicale Raphaël Pichon
Mise en scène Cyril Teste
Avec Siobhan Stagg, Michael Spyres, Mari Eriksmoen, Albert Dohmen, Gabor Bretz, Christian Immler, Linard Vrielink Chœur et orchestre PygmalionDécors Valérie Grall
Costumes Marie La Rocca
Dramaturgie Leila Adham
Lumières Julien Boizard
Conception vidéo Mehdi Toutain-Lopez
Cadreur-opérateur Nicolas Doremus
Assistant musical Nicolas Ellis
Chef de chant Michalis Boliakis
Assistante à la mise en scène Céline Gaudier
Assistante décors Alissia Blanchard
Assistante costumes Peggy Sturm
Conception son Thibault Lamy
Comédiens
Morgan Lloyd Sicard, Vincent Steinebach Enfants
Maîtrise Populaire de l’Opéra ComiqueJ
oachim Garcenot, Lola Houzet, Venus Jouini, Dora Maigne, Mathias Marzac, Filiza Petrov, Colin Renoir-Buisson, Jeanne Renoux (les 25, 29 septembre et 1er octobre) ; Rébecca Buchman, Lilé De Davrichewi, Théonie Forsans, Gaspard Gueritée-Petit, Timothée Huynh-Kim-Bang, Tiago Lucet-Rémy, Lisa Rugraff, Julia Segre (les 27 septembre et 3 octobre)
Chœur et orchestre Pygmalion
Production Opéra Comique CoproductionOpéra Nice Côte d’Azur, Collectif MxM, Opéra de Dijon
* membres du chœur PygmalionSpectacle en allemand, surtitré en français et anglais
Durée estimée : 2h05 sans entracte
Opéra Comique
Du 25 septembre au 3 octobre 2021En direct sur arteconcert.com vendredi 1er octobre 2021
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