Au sein de sa compagnie La PAC – La ParoleAuCentre, Louise Emö explore l’art de la parole sous des formes diverses. Avec un intérêt particulier pour les langages hors-normes. Dans Simon, la méduse et le continent dont elle signe le texte et la mise en scène, Simon Vialle incarne un enfant au verbe pas comme les autres.
Dans son ventre, Simon a une méduse qui gigote, qui l’angoisse. Heureusement qu’au-dessus de sa tête, il a petit nuage personnel, un ami imaginaire du nom de Monsieur Murmure avec qui il peut s’évader loin du monde des adultes. Loin de Jeanne, sa maman qui écrit des livres qu’il est trop petit pour lire et qui multiplie les amants. Loin de l’école « normale » qui le juge trop singulier pour elle, et qui s’apprête à l’envoyer ailleurs. Dans un centre pour enfants comme lui, hors des rails. En quelques phrases prononcées à toute vitesse, mais séparées par des silences toujours inattendus, le comédien Simon Vialle a dit toute l’histoire de son homonyme. Mais le « dit », pour l’auteure et metteure en scène Louise Emö, n’est qu’une petite chose face au « dire ».
Dans Simon, la méduse et le continent, Simon Vialle déploie une parole toute en répétitions, en bégaiements qui cassent tous les codes de la parole quotidienne. Et qui interrogent notre manière de mettre les mots les uns à la suite des autres, au théâtre comme dans la vie. Première pièce de La PAC – La ParoleAuCentre, recréée récemment et accompagnée par le CDN de Normandie-Rouen, ce seul en scène pose les bases de la recherche de Louise Emö, qui a depuis engagé son verbe curieux et aiguisé dans bien d’autres aventures. Dans la Spoken World Tragedy (2016), pièce évolutive où elle performe elle-même des paroles écrites à partir de témoignages qu’elle recueille dans ses divers lieux de résidence. Et dans Mal de crâne (2018), où elle imagine une rencontre entre Hamlet et le rappeur Eminem pour baliser les fragilités de sa génération – elle est trentenaire – et mesurer ses perspectives.
Sans chercher à imiter l’autisme, Simon Vialle s’approprie quelques traits de langage, quelques éléments gestuels caractéristiques de ce trouble qui touche la communication. L’air de toujours vouloir quitter le plateau nu où une force invisible l’a propulsé en début de spectacle, il déploie une singulière chorégraphie. Un ensemble de signes, de ruades et d’arrêts qui, associés aux mots qu’il utilise avec un mélange de gourmandise et de circonspection, forment un langage qui ne cesse de s’offrir au spectateur pour mieux se dérober. Tantôt triste tantôt rieur, l’enfant de Simon, la méduse et le continent nous égare dans les dédales d’un univers où le rêve et le concret sont les meilleurs copains.
Complexe, la partition imaginée par Louise Emö exige du comédien une énergie et une précision sans failles. Simon Vialle excelle dans les deux domaines. Sa performance est irréprochable. Au CDN de Normandie-Rouen où il a joué les 28 et 29 mai avant de poursuivre sa route à La Manufacture à Avignon, elle l’était même peut-être un peu trop. Pour nous permettre d’entrer vraiment dans l’univers mental du personnage, il aurait fallu qu’elle se fasse davantage oublier. Qu’elle laisse plus de place au hasard, au présent. Ce que fait magnifiquement Louise Emö dans sa Spoken Word Tragedy, où elle a beaucoup plus de distance par rapport aux paroles dont elle s’empare. Entre le vrai Simon et celui de la fiction, un rapport plus juste reste sans doute à trouver. Un mois de festival Off à Avignon devrait y aider.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Simon, la méduse et le continent
Mise en scène, écriture, dramaturgie : Louise Emö
Jeu, proposition, dramaturgie : Simon Vialle
Dramaturgie, assistanat, lumière : Clément Longueville
Production déléguée : CDN de Normandie-Rouen • coproduction : La PAC – La ParoleAuCentre & L’Étincelle – Théâtre de la ville de Rouen • avec le soutien de La Bellone – Maison du spectacle, du Centre des Écritures Dramatiques de Wallonie-Bruxelles, de la Cité-Théâtre, de l’ODIA Normandie, de l’ONDA et du Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Durée : 1hLa Manufacture – Festival d’Avignon Off
Du 5 au 25 juillet à 21h35. Relâche les 11 et 18
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