Dans Tarkovski, le corps du poète, Stanislas Nordey se place avec justesse au cœur des certitudes comme des interrogations artistiques et existentielles du cinéaste soviétique.
Nourri d’une riche documentation qui contient entre autres le journal tenu par l’artiste de 1970 à 1986 et sa biographie par Antoine de Baecque, le spectacle fait pénétrer dans les profondeurs d’un univers obsédé par la soif de liberté et l’appréhension de la mort. Signataire d’une œuvre magnifiquement contemplative et souvent jugée hermétique, triomphante à l’étranger mais ni reconnue ni diffusée en URSS, Tarkovski est présenté comme un être torturé et généreusement confiant en la culture qui extirpe le monde de la sauvagerie, confiant en l’humanité et en la beauté. Le jeune metteur en scène Simon Delétang veut faire entendre les idées, les doutes, les luttes, les quêtes, incessantes, exigeantes, inachevées, qui habitent Tarkovski. Il fait le portrait d’un être intransigeant poussé par le risque et la nécessité en matière de création, par la vocation d’atteindre l’absolu. Le travail certes probe qu’il propose reste au demeurant bien plus sage et moins radical que son flamboyant sujet.
Après avoir endossé le rôle de Fassbinder, Nordey joue Tarkovski. « Maintenant je ne fais plus que des biopics » blaguait l’acteur le soir de la première dans l’espace Grüber du théâtre qu’il dirige à Strasbourg. Arborant des cheveux lissés et une fine moustache, il emprunte ses traits au réalisateur qui apparaît d’abord alité comme un cadavre dans le climat comateux d’une chambre à coucher qui laisse apercevoir par une mince ouverture le lavabo d’une salle de bain contiguë. La reconstitution d’un lieu tiré du film Nostalghia ressemble aussi étrangement à un célèbre décor de Yannis Kokkos. A travers les portes et les fenêtres, de furtives présences, étrangères ou familières, s’immiscent subrepticement entre rêve et réalité confondus.
Moins fiévreux et bouillonnant que dans les pièces de Handke et Pasolini qu’il a lui-même montées, Stanislas Nordey est ici très posé et d’une remarquable force introspective en solitaire cafardeux et pointilleux. Jean-Yves Ruf, Thierry Gibault, Pauline Panassenko, tous les acteurs qui l’entourent sont bons même s’ils défendent de maigres partitions. Mention pour Hélène Alexandridis qui fait prendre avec émotion un véritable tournant au spectacle dans une dernière partie écrite comme un poème par Julien Gaillard à la veine plus lyrique et évocatrice.
La beauté de l’espace désormais ouvert, la gracieuse Madone del Parto et la neige qui tombe sur le plateau sombre et sur le torse nu de Tarkovski errant et fragile au moment de l’exil puis de la fin prématurée de sa vie, forment une belle conclusion à une création ambitieuse. Mais pétrie d’une admiration et d’un didactisme trop imposants, la représentation peine à se hisser à la hauteur de vue bouleversante du propos qu’elle délivre.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Tarkovski, le corps du poète
Texte original Julien Gaillard
Et les extraits de textes de Antoine de Baecque, Andreï Tarkovski
Mise en scène, montage de textes et scénographie Simon Delétang
Avec Hélène Alexandridis, Thierry Gibault, Stanislas Nordey, Pauline Panassenko, Jean-Yves Ruf
Dramaturgie Julien Gaillard, Simon Delétang
Costumes et collaboration à la scénographie Léa Gadbois-Lamer
Lumière Sébastien Michaud
Son Nicolas Lespagnol-Rizzi
Production Compagnie Kiss my Kunst
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Célestins – Théâtre de Lyon, La Comédie de Reims – Centre dramatique national
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National et de DIESE Rhône-Alpes
Avec le soutien de la DGCA – ministère de la Culture et de la Communication, de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Création le 19 septembre 2017 au Théâtre National de Strasbourg
Durée : 2hStrasbourg, TNS du 19 au 29 septembre à 20h
Lyon, Théâtre Les Célestins | 11-15 octobre 2017
Paris, La Manufacture Théâtre Quartier d’Ivry | 2-6 mai 2018
Reims, Comédie de Reims | 11 mai 2018
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