La metteuse en scène et scénographe italienne Silvia Costa s’empare du texte de l’autrice Penda Diouf et signe avec Sœur·s, nos forêts aussi ont des épines un voyage visuel qui n’oublie pas d’être sensible.
Deux corps encapuchonnés se cherchent dans un dédale de formes cubiques. Leurs regards se croisent parfois, une main se pose, ou bien un front, avant que leurs corps ne reprennent leur marche et viennent s’arrêter en bord de scène. Une comédienne plonge alors sa main dans la poche de sa comparse pour en sortir un ruban bleu qu’elle déroule, traçant ainsi un trait d’union entre leurs deux corps. Ainsi s’ouvre Sœur·s, nos forêts aussi ont des épines que Silvia Costa place sous le signe de la chorégraphie en miroir, pour mieux explorer l’ambivalence du lien et la nécessité de la sororité.
C’est le choc de deux univers que provoque la Comédie de Valence en invitant deux des membres de son Ensemble artistique à plancher ensemble sur une proposition autour de la sororité. Sur le papier, les esthétiques des deux artistes semblent plutôt éloignées. D’un côté, Silvia Costa, longtemps collaboratrice artistique de Romeo Castellucci pour le théâtre et l’opéra, développe depuis de nombreuses années, en France et à l’international, un univers visuellement impactant, marqué par des procédés scéniques ambitieux et un travail plastique sans cesse renouvelé autour des formes et des matières. Penda Diouf se place à travers ses textes plutôt du côté du conte et de la parabole, du sensible et du politique. Dans Sœur·s, nos forêts aussi ont des épines, joué en itinérance dans une dizaine de villes et de villages de la Drôme et de l’Ardèche avant de partir pour la Belgique et d’atterrir, en février, à la MC93, Penda Diouf nous plonge dans une atmosphère tellurique où la nature est omniprésente. Ce point de départ, Silvia Costa va s’efforcer de le transposer ailleurs, et, par sa lecture singulière, de l’augmenter. Un pari audacieux qui aurait pu très bien tomber à plat si l’un des deux univers avait tenté de prendre le pas sur l’autre. C’est donc dans son équilibre que la proposition convainc.
Dans un cube blanc, des blocs rectangulaires et unis forment des arches immaculées, comme autant de blocs de construction pour enfants, rendant à toute taille humaine des allures de poupées. Une esthétique candide et virginale sur laquelle l’imaginaire peut se projeter à sa guise et où le conte peut se déployer. Car, même si à première vue cela ne semble pas évident, nous sommes bien dans une forêt, où Lou-Ann et Lorine se sont égarées au cours de leur cueillette de champignons. Les deux jeunes femmes sont brièvement réunies avant le départ pour l’étranger de Lorine, la cadette partie tôt du foyer pour étudier, tandis que Lou-Ann est restée vivre au village auprès de leur mère. Les deux sœurs se retrouvent donc à travers cette promenade à l’orée d’une grande séparation et vont se rendre compte à quel point elles se ressemblent, tout en se comprenant mal. Par un acte magique, hallucinogène, ou bien délibéré de la part de Lou-Ann, elles se font surprendre par l’orage et doivent passer la nuit à l’abri d’une caverne. Au fil des souvenirs et des révélations, elles vont entamer un voyage onirique au cœur de leur sororité, à travers les malentendus, les traumatismes et les reproches tus qui façonnent leur relation. Se développe ainsi une exploration des liens qui les unissent toutes deux, mais aussi de ceux qui les rattachent aux autres, au monde et au vivant.
En vêtant les deux sœurs tantôt d’un chaperon de latex ocre – avec panier en osier et pèlerine de circonstance –, tantôt d’un short et de chaussures de ville, tantôt d’un maillot à sequins, Silvia Costa joue avec les différentes strates du récit imaginé par Penda Diouf : la réalité, la fable, les origines. C’est ce dialogue qui rend la proposition audacieuse et prouve la plasticité de la metteuse en scène, capable d’adapter son esthétique singulière à des univers très différents – de l’art lyrique, aux performances plastiques, de l’adaptation de romans en passant par Shakespeare ou encore du jeune public –, sans jamais rien négocier de sa précision ni de son ambition.
Si Silvia Costa sait créer des images scéniques fortes – à l’instar, ici, de la découverte du champignon qui va permettre le voyage, caché dans une cavité lumineuse et aquatique, qui évoque le passage vers un monde merveilleux –, si elle sait s’amuser avec les échelles, jouer avec les matières et leurs transparences, inventer de nouvelles verticalités, c’est surtout le travail chorégraphique qui alimente ici la fable d’un regard nouveau. Car l’ensemble de la proposition est pensé comme un lent pas de deux millimétré où les deux sœurs se répondent en miroir, se complètent, brisent leur duo avant de le reformer, guidées par le souffle du texte et par la création sonore virtuose de Sandro Mussida – qui varie de la chaleur du violoncelle à l’inquiétante étrangeté d’arrangements électroniques. D’une grande précision, la chorégraphie ménage des moments de respiration, notamment à travers le chœur final, où le texte se multiplie dans le souffle en commun des deux comédiennes et de la musique. C’est dans cette écoute chorale que réside le plus beau lien entre le texte et l’univers visuel déployé : un endroit d’attention en commun, qui, peut-être, est la définition même de la sororité.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Sœur·s, nos forêts aussi ont des épines
Texte Penda Diouf
Conception, mise en scène, scénographie, costumes Silvia Costa
Avec Dea Liane, Pauline Parigot
Lumière Marco Giusti
Composition originale Sandro Mussida
Collaboration à la mise en scène Luna Scolari
Collaboration à la scénographie Michele Taborelli
Réalisation costumes Barbara Mornet
Programmation et mixage musical; violoncelle et piano Sandro Mussida
Timbales, grosse caisse, marimba, vibraphone, crotale Elio Marchesini
Construction décor Atelier décor Act’Production La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche
Coproduction Le Nouveau Théâtre Besançon Centre dramatique national ; Snaporazverein
Avec le soutien du Théâtre Varia, Bruxelles, du ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et de King’s FountainLe texte est publié aux Solitaires Intempestifs (2024).
Penda Diouf et Silvia Costa sont membres de l’Ensemble artistique de La Comédie de Valence.Durée : 1h15
Vu en janvier 2025 à la Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny, en partenariat avec le Théâtre Nanterre-Amandiers
du 5 au 15 février
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