L’ensemble Le Balcon et son directeur Maxime Pascal poursuivent leur titanesque aventure entamée en 2018, celle d’interpréter l’intégralité du cycle Licht (Lumière) de Karlheinz Stockhausen dont Freitag (Vendredi), donné à l’Opéra de Lille puis à la Philharmonie de Paris, s’offre comme une expérience musicale et sensorielle à nulle autre pareil.
Un autre monde est possible… Il se teinte d’une belle couleur jaune-orangé qui enveloppe tout le théâtre et vibrionne de sons électroniques étales et vrombissants. C’est Freitag aus Licht, le cinquième volet d’un cycle opératique constitué de sept parties et d’une durée totale de presque trente heures. C’est quasiment le double du célèbre Ring des Nibelungen composé par Richard Wagner un siècle plus tôt, et même la plus vaste et follement ambitieuse entreprise lyrique jamais conçue. Licht, c’est un univers total, aussi ésotérique qu’énigmatique, auquel Stockhausen, mort en 2007, a consacré vingt-cinq ans de sa vie. Le porter intégralement à la scène est un gigantesque et passionnant défi, relevé avec brio depuis plusieurs années par Maxime Pascal, directeur musical de l’ensemble Le Balcon, associé à une signature scénique différente pour chaque partie, et toujours soutenu par le Festival d’Automne.
Chacune des parties est dédiée à un jour de la semaine et correspond à une planète et une couleur. Le première pièce, intitulée Donnerstag (Jeudi), est le jour de Jupiter. Elle retrace la jeunesse du héros Michael, une figure inspirée de l’archange Michel qui est aussi une sorte de double du compositeur allemand faisant écho à son enfance terrible dans l’Allemagne nazie puis de l’après-guerre. Absent dans Freitag, journée associée à Vénus, celui-ci laisse sa place à Eve qui se laisse tromper par Ludon (une incarnation masquée de Lucifer) et s’unit à son propre fils Caino. Se livre alors un combat entre les forces du bien et du mal au cœur duquel s’imposent les thèmes de la tentation et de la rédemption.
Le caractère dichotomique du monde représenté est largement rendu lisible dans les tableaux d’une grande qualité plastique que propose la mise en espace et en images tout en noir et blanc réalisée par Silvia Costa. Souvent à l’œuvre de formes musicales plutôt intimistes et volontiers hybrides, elle aborde le gigantisme de Stockhausen avec la fidélité que réclament les indications très précisément annotées dans la partition mais aussi avec une inspiration qui oscille entre symbolisme et surréalisme. Au niveau le plus haut d’une scénographie étagée, se laissent dévoiler, puis volontiers dépareiller, des couples d’objets hétéroclites type voiture de course, flipper, photocopieuse, fusée, auxquels s’ajoutent des fragments de corps humains (jambe de footballer, bras de junkie) et des animaux automates. Ces emblèmes du monde moderne, de la consommation et du divertissement, sont placés sur des socles d’exposition et ainsi promus au rang d’œuvres d’art vivantes qui s’actionnent avec une précision d’horlogerie et une formidable fantaisie.
Il est enthousiasmant de constater comment une œuvre fascine les spectateurs tout en perturbant leurs repères et leurs perceptions sensibles. La pièce Freitag aus Licht s’offre comme une expérience auditive et visuelle éminemment stimulante et envoûtante, aussi bien musicalement que théâtralement, grâce au travail très exigent effectué sur le son (électronique et acoustique) ainsi que sur sa spatialisation, sur les voix, les corps, les gestes, les actions, autant de matériaux qui entrent totalement en dialogue et dont l’insolite et éloquente expressivité est admirablement défendue par les artistes réunis : les chanteurs et instrumentistes remarquables et, chose rare, une cohorte d’enfants exaltés qui occupe le premier plan avec une énergie fiévreuse tout à fait en phase avec la dynamique créatrice de l’œuvre.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Karlheinz Stockhausen (1928-2007)
Freitag aus Licht (1991-1994)opéra en un salut, deux actes et un adieu, pour trois voix, trois instruments solistes, orchestre, chœur d’enfants, chœur, synthétiseur, douze couples de danseurs-mimes et électronique
Le Balcon
Orchestre d’enfants du Conservatoire à Rayonnement Régional de Lille
Chœur de la Maîtrise Notre-Dame de Paris
Maxime Pascal, direction musicale
Silvia Costa : mise en scène, scénographie
Rosabel Huguet Dueñas, assistante mise en scène
Elena Zamparutti, assistante scénographie
Bianca Deigner, costumes
assistée de Domitile Guinchard
Bernd Purkrabek, création lumières
Florent Derex, projection sonore
Augustin Muller et Étienne Démoulin, électronique musicale
Emilie Fleury, cheffe du chœur d’enfants
Alain Muller, chef de chant
Emmanuelle Grach, transmission des gestes InoriJenny Daviet : Eva – soprano
Halidou Nombre : Kaino – baryton
Antoin HL Kessel : Ludon – basse
Charlotte Bletton, Lufa – flûte
Iris Zerdoud : Elu – cor de basset
Sarah Kim, Haga Ratovo, Synthibird – synthétiseur
Rosabel Huguet Dueñas (le bras), Suzanne Meyer (la bouche), Jean-Baptiste Plumeau (la jambe) – danseChanteuses : Emmanuelle Monier, Pauline Nachman, Marie Picaut, Michiko Takahashi, Léa Trommenschlager, Ayako Yukawa
Chanteurs : Frédéric Albou, Arthur Cady, Bertrand Bontoux, Jean-Christophe Brizard, David Colosio, Florent MartinLes enfants Démiurges : Colette Verdier, Marin Rayon, Alexis Mazars, Stéphane Poulet, Edgar Cemin, Arsène Jouet
Durée : environ 3h, entracte compris.
Production Opéra de Lille, Le Balcon En coproduction avec le Festival d’Automne à Paris et la Philharmonie de Paris
Opéra de Lille
du 5 au 8 novembre 2022La Philharmonie
14 novembre 2022
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