Dans une scénographie visuellement renversante, Saison sèche orchestre un rituel pour détruire la maison patriarcale. Bien décidée à en finir avec l’oppression masculine, Phia Ménard fait montre d’une puissance vengeresse, qui n’échappe pas aux stéréotypes.
« Je te claque la chatte. » Les premiers mots de Saison sèche prononcés par Phia Ménard sonnent comme une déclaration de guerre. En réponse à cette interpellation salace que moult femmes ont sans doute déjà entendue au coin d’une rue, symbole d’une domination masculine qui a transformé l’espace public en territoire hostile, la patronne de la compagnie Non Nova a décidé de sortir l’artillerie lourde, capable de tirer à boulets rouges sur ce patriarcat à qui elle veut asséner le coup de grâce. Œil pour œil, dent pour dent.
Dès les premiers instants, le spectacle se fait fascinant, oppressant, déstabilisant. Sept femmes allongées, nues, les jambes écartées, sont prises au piège sous moins d’un mètre de hauteur de plafond. Impossible pour elles de se tenir debout. Hagardes, terrifiées, dans une pénombre à faite pâlir les plus téméraires, elles sont réduites au rang de corps mouvants, contraintes de se soumettre à une maison qui joue avec elle, comme un chat le ferait avec une souris. Sans crier gare, l’espace vital se déploie ou se rétracte. « Soyez dociles et nous vous donnerons un peu d’air ; tentez de vous tenir droites et le plafond vous écrasera », semble-t-il leur dire.
Pour tenter de se sortir de cette survie à l’échine courbée, les femmes utilisent la puissance du collectif. Peu à peu, un rituel naît. Leurs attributs sexuels dissimulés, leurs visages recouverts de peintures tribales, déguisées en serveur, chef d’entreprise, chasseur ou agent de sécurité incendie, les voilà embarquées dans une séance d’exorcisme, sorte d’atelier drag king orchestré à un rythme quasi militaire, telle une parade parodique de ce que la notion de masculinité peut charrier de plus grossier. Sous ces coups de boutoir symboliques, la maison du patriarcat se détrempe, cède et s’effondre sur elle-même, déversant au passage cette infâme bile noire qui lui a longtemps servi de carburant.
Après la glace, le vent, l’eau et la vapeur, c’est bien la sueur de ses performeuses que Phia Ménard est allée chercher pour poursuivre son « cycle de l’eau et de la vapeur ». De ce combat engagé à mains et à corps nus avec le patriarcat, matérialisé par cette scénographie saisissante, Marion Blondeau, Anna Gaïotti, Elise Legros, Marion Parpirolles, Marlène Rostaing, Jeanne Vallauri et Amandine Vandroth sortent moralement ragaillardies, mais physiquement exténuées par le rythme intense et continu qui leur est imposé.
Visuellement renversant, Saison sèche ne fait pas dans la dentelle. La colère intime de Phia Ménard la pousse à singer des stéréotypes, à caricaturer des comportements primitifs qui prennent le masculin par le petit bout de la lorgnette et ne lui laissent aucune chance d’éclore dans toute sa diversité. Moins fin et mystérieux que ses précédentes productions, il n’en conserve pas moins une puissance ravageuse. La maison patriarcale à terre, reste désormais à reconstruire une société aux fondations plus égalitaires.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Saison sèche de Phia Ménard
Avec Marion Blondeau, Anna Gaïotti, Élise Legros, Phia Ménard, Marion Parpirolles, Marlène Rostaing, Jeanne Vallauri, Amandine Vandroth
Conception et dramaturgie Phia Ménard, Jean-Luc Beaujault
Musique et son Ivan Roussel
Scénographie Phia Ménard
Construction et accessoires Philippe Ragot
Lumière Laïs Foulc
Costumes Fabrice Ilia Leroy
Manipulations des éléments Benoît Desnos, Mateo Provost, Rodolphe ThibaudProduction Compagnie Non Nova
Résidence et coproduction Espace Malraux Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Théâtre national de Bretagne
Coproduction Festival d’Avignon, La Criée Théâtre national de Marseille, Théâtre des Quatre Saisons Scène conventionnée musique(s) de Gradignan
Avec le soutien de la Fondation BNP Paribas et pour la 72e édition du Festival d’Avignon : Adami, Spedidam
Durée : 1h30Festival d’Avignon 2018
L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène
Du 17 au 24 juillet sauf le 20 à 18hBonlieu, Scène nationale d’Annecy
Le 29 novembreMC 93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Du 10 au 13 janvier 2019Le Théâtre, Scène nationale d’Orléans
Les 17 et 18 janvierTandem, Scène nationale de Douai
Le 5 févrierLa Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche
Les 13 et 14 févrierLa Criée, Théâtre national de Marseille
Du 28 février au 2 marsThéâtre des Quatre Saisons, Scène conventionnée musique(s), Gradignan
Le 7 marsLe Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique, Nantes
Les 13 et 14 marsThéâtre national de Bretagne, Rennes
Du 20 au 29 marsLa Filature, Scène nationale de Mulhouse
Le 4 mai
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