La proposition terne du metteur en scène italien et le plateau vocal sans éclat laissent toute la place à la subtilité musicale de cette partition méconnue, dirigée en spécialiste par René Jacobs.
Pour sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, Romeo Castellucci avait frappé fort. Par ses images à la plastique toujours impeccable, par ses audaces qui restent en mémoire, le metteur en scène avait sublimé la musique de Schönberg et marqué Moses und Aron de son empreinte. Dans le même registre biblique, que l’artiste italien affectionne tant, on pouvait rêver d’un coup de maître identique pour Il Primo Omicidio, cet oratorio méconnu d’Alessandro Scarlatti, qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Les espoirs furent vite déçus.
Scindée en deux parties, avec le meurtre d’Abel par Caïn pour pivot, la proposition scénique de Castellucci suit toujours le même schéma : elle étonne par sa forme, puis déçoit par sa pauvreté, comme si le metteur en scène n’avait pas voulu faire d’ombre à la musique de Scarlatti. D’abord abstraite pour accompagner le sacrifice de l’agneau consenti par Abel, conçue comme une simple suite d’aplats de couleurs à la beauté variable devant lesquels les chanteurs sont campés, elle se concrétise dans la seconde moitié grâce à l’arrivée sur le plateau d’un groupe d’enfants. Le jardin de Caïn, lieu du fratricide, se métamorphose alors en aire de jeu, où les enfants, dans un élan démythificateur, s’amusent à reconstituer les suites de ce drame originel.
Par un procédé qui n’est pas sans rappeler celui utilisé dans sa récente Flûte enchantée, Castellucci transforme les chanteurs en ventriloques. Pendant qu’ils exercent leur voix dans la fosse ou dans la salle, les enfants-marionnettes, plein de courage, bougent leurs lèvres et leurs corps sur le plateau. Créative dans son idée, mais assez terne et frugale dans sa réalisation, elle n’a qu’une vertu : libérer le plateau vocal d’une direction d’acteurs didactique et le laisser se concentrer sur le chant. Les prestations dépassent alors le plafond de verre sous lequel elles semblaient confinées pour donner à entendre quelques jolis instants, réservés à Olivia Vermeulen et Brigitte Christensen, sans pour autant produire l’étincelle du bouleversement.
L’émotion, il faudra aller la chercher du côté de la fosse. Pour sa première venue à l’Opéra de Paris, René Jacobs, qui a lui-même exhumé cet oratorio de l’injuste oubli dans lequel il était tombé, dirige d’une main de maître son B’Rock Orchestra avec une interprétation empreinte d’une grande subtilité. Elle révèle toute l’alchimie de l’étonnante partition du compositeur italien et du livret d’Antonio Ottoboni, où le lyrisme des mots simples a de quoi faire rougir certains opéras. Entre eux, se noue une combinaison bouleversante, celle qui unit la douce luminosité de l’aube, sans la brillance aveuglante du soleil de midi, et une histoire biblique avant tout pétrie de sentiments humains, comme la jalousie fraternelle, l’amour parental et le désespoir devant les deux fils perdus. De quoi toucher au cœur.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Il Primo Omicidio ovvero Caino
Oratorio à six voix (1707)
Musique Alessandro Scarlatti (1660‑1725)
Livret Antonio Ottoboni
Direction musicale René Jacobs
Mise en scène, décors, costumes, lumières Romeo Castellucci
Collaboration artistique Silvia Costa
Dramaturgie Piersandra Di Matteo, Christian Longchamp
B’Rock Orchestra
Avec Kristina Hammarström (Caino), Olivia Vermeulen (Abele), Birgitte Christensen (Eva), Thomas Walker (Adamo), Benno Schachtner (Voce di Dio), Robert Gleadow (Voce di Lucifero)
Et la participation de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et du Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris avec, en alternance, Charles Le Vacon et Hippolyte Chapuis (Caino), Arthur Viard et Rémi Courtel (Abele), Lucie Larras et Alma Perrin (Eva), Anton Bony et Armand Dumonteil (Adamo), Mayeul Letellier et Riccardo Carducci (Voce di Dio), Andréas Parastatidis et Léo Chatel (Voce di Lucifero).Durée : 2h40, entracte compris
Opéra national de Paris, Palais Garnier
Du 24 janvier au 23 février 2019
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