Les Quinconces-L’Espal au Mans ont programmé les 10 et 11 avril, Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci. Mais les spectateurs n’ont pas vu l’intégralité de la pièce. La Préfecture de la Sarthe, suite à des courriers de protestation, a demandé au théâtre de supprimer la scène finale, celle avec les enfants jetant des grenades factices sur le portrait du Christ d’Antonello di Messina. Romeo Castellucci, s’exprime dans une lettre adressée aux spectateurs du Mans. Dans un tweet diffusé sur son compte samedi matin, Françoise Nyssen, la ministre de la culture déclare soutenir le metteur en scène italien .
« Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer« . Voilà la pensée d’Emmanuel Macron délivrée lundi soir devant la Conférence des évêques de France. La traduction dans les faits ne s’est pas faite attendre. La préfecture de la Sarthe via la Direction départementale de la cohésion sociale a décidé de ne pas autoriser les neuf enfants, dont le plus jeune est âgé de 9 ans, à jouer la scène finale du Concept du visage du fils de Dieu au Mans.
Dans un court communiqué, elle explique son refus d’autoriser l’emploi de mineurs :« Considérant l’âge des enfants retenus pour la prestation et les caractéristiques de la scène à laquelle les mineurs devaient participer, le préfet de la Sarthe a refusé cette autorisation d’emploi par un arrêté préfectoral. Cet arrêté n’a pas vocation à interdire cette scène durant le spectacle, précise la préfecture, il vise uniquement à préserver les mineurs qui auraient dû y participer. » Le théâtre Les Quinconces-L’Espal avait reçu quelques courriers vindicatifs de protestations émanant des milieux catholiques intégristes. Voici donc le retour de la censure en France, l’État laïc cède devant les injonctions des milieux catholiques. La pièce de Romeo Castellucci tourne depuis 2011, si elle a suscité nombre de manifestations à l’extérieur des théâtres (sauf au Festival d’Avignon étonnamment là où elle a été montrée pour la première fois en France), jamais elle n’a été amputée de cette scène finale cruciale de douze minutes. Demain va-t-on cacher des tableaux dans des musées, retirer des ouvrages dans les bibliothèques ?
François Berreur, patron des Solitaires Intempestifs, éditeur de Romeo Castellucci s’interroge et questionne Françoise Nyssen, la ministre de la Culture dans un communiqué: « Est-ce une nouvelle forme de censure républicaine ? Ce préfet a-t’il appliqué des consignes de la présidence ? Peut-être souhaitez-vous aussi relire les écrits de Roméo Castellucci pour vérifier s’ils ne menacent pas notre jeunesse ? »
Dans un tweet diffusé ce samedi matin, Françoise Nyssen, la ministre de la Culture déclare soutenir le metteur en scène « Je rappelle mon attachement profond à la liberté de création et souhaite saluer le travail de l’artiste ainsi que les programmateurs qui ont permis la diffusion de son œuvre et le travail de pédagogie théâtrale réalisé auprès des enfants et familles. »
Romeo Castellucci s’est adressé aux spectateurs du Mans, nous reproduisons ici son courrier.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Chers spectateurs du Mans,
Je ne vous montrerai pas ce soir la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » dans son intégralité. Il y manquera une scène importante dans laquelle interviennent des enfants. Suite à l’avis défavorable émis par la Direction départementale de la cohésion sociale, le Préfet de la Sarthe a refusé la participation des enfants à l’une des scènes de la pièce à laquelle vous allez assister ce soir. Il s’agit d’une séquence d’environ 12 minutes, pendant laquelle un groupe d’enfants entre en scène avec des sacs à dos et vide leur contenu composé de jouets en forme de grenades, tout comme le garçon dans la photo de Diane Arbus qui a inspiré cette scène. Ils lancent ces fausses grenades sur le grand portrait du Salvator Mundi de Antonello de Messine au fond de la scène. Il s’agit d’un passage complexe dont je ne peux que synthétiser le sens : c’est une forme de prière, un geste porté par l’innocence de l’enfance qui symbolise ici l’humanité entière, un geste qui fait référence à la Passion du Christ. Pour monter cette scène, dans chaque ville nous organisons régulièrement des rencontres préparatoires avec les enfants, afin de leur faire comprendre «l’homéopathie» de ce geste violent qui appelle des sentiments inverses.
Depuis la Première représentation de ce spectacle en 2010, ces rencontres sont conduites avec beaucoup de soin et délicatesse par mon assistant Silvano Voltolina qui a une longue expérience dans la pédagogie théâtrale spécifiquement auprès des enfants. Ce moment est l’un des aspects les plus riches et les plus beaux de ce travail : s’offrir le temps de discuter d’enjeux importants avec les enfants, écouter enfin leur voix, critiquer la violence par l’usage paradoxal de sa fiction et partager avec eux un discours sur l’art, la culture et la fragilité humaine. Parler d’éthique, finalement. Je ne partage donc pas du tout les raisons invoquées par la Direction départementale, raisons qui parlent de défense de la moralité et mise en danger de la santé des enfants. La moralité ici évoquée est un mot vidé de son sens, un stéréotype douloureux et déplacé, qui ne surgit pas de la conscience profonde de l’individu mais plutôt d’une anesthésie de la conscience individuelle. La moralité évoquée ici est ce qu’on appelle le sens commun : une caricature de la véritable éthique, une offense à l’intelligence critique des adultes et des enfants. L’art est une éthique contenue dans une esthétique et cela n’a rien à voir avec le moralisme. La Préfecture a certes le devoir d’oeuvrer pour le bien de la société et de la préserver des dangers mais, dans le cas présent, ce type de réponse me semble mieux convenir à un régime théocratique qu’à une République fondée sur la liberté d’expression. Cependant, je suis contraint d’accepter la décision de la Direction départementale et après un premier moment de consternation et d’incrédulité, j’ai pris la décision, avec ma compagnie, de jouer quand même le spectacle dans une version amputée de la scène en question. Je tiens beaucoup à m’en excuser auprès des enfants, de leurs parents et de vous-mêmes, chers spectateurs, car vous êtes venus ici ce soir en vous attendant à voir le spectacle dans son intégralité. Merci de votre compréhension, merci de votre attention.
Romeo Castellucci
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