En transposant la pièce de Shakespeare dans un centre de redressement pour jeunes gens supposés déviants, le chorégraphe britannique fait triompher l’amour et la liberté de l’oppression et de l’enfermement dans un spectacle aussi clinquant qu’éperdument émouvant.
Internationalement connu pour ses relectures réjouissantes et sulfureuses des grands ballets classiques à l’instar du Lac des Cygnes de Tchaïkovski présenté il y a presque vingt ans au Théâtre Mogador à Paris, le chorégraphe Matthew Bourne réinvente la plus célèbre pièce de Shakespeare dont est tiré le ballet mis en musique par Prokofiev. Pour ce faire, il écrit un scénario inédit et haletant qui pourrait être celui d’un film ou d’une série télévisée tant y culminent efficacité dramaturgique et puissance émotionnelle. Intrigue et personnages de son Romeo + Juliet se situent dans une maison de correction aux murs froidement carrelés ou grillagés. Mais l’atmosphère clinique et carcérale de ce contexte hospitalier n’étouffe jamais l’increvable désir, le fulgurant appétit d’exister, de s’affirmer, d’une bande d’adolescents enfermés pour déviance supposée. Maltraités mais toujours passionnés, ils paraissent moins dangereux et menaçants que comme de jeunes gens chahuteurs mais tellement romantiques, ô combien attachants. Chacun des tableaux successivement proposés fait pénétrer dans leur intimité qui, malgré l’hostilité, suinte d’une belle vitalité.
Tandis que les patients divisés selon leur sexe entre filles et garçons se livrent aux rituels de séances d’entraînement musculaire, de contrôles médicaux, de groupes de paroles et de loisirs conditionnés, ils sont aussi soumis aux châtiments corporels, aux continuelles humiliations et tentatives de harcèlement. Dans cette adaptation, Tybalt joue le rôle terrifiant d’un gardien de dortoir qui dévoile ses penchants sombres de prédateur sexuel et agresseur homophobe. Mercutio et Benvolio forment un couple gay absolument exaltant car suffisamment affranchi jusqu’à la tragédie vécue par la mort accidentelle de l’un d’eux. Enfin, Roméo et Juliette se rencontrent toujours à l’occasion d’un bal qui ici s’apparente davantage à une fête costumée, organisée dans l’enceinte de l’asile – pensionnat. Un brin timide et policée, la soirée se fait nettement plus débridée à mesure que ses participants se déshabillent et se laissent aller à une dévorante volupté. Plus tard, la scène du balcon exploite les nombreuses échelles et escaliers du décor et donne à voir les amants faire le mur, pour tenter en vain d’esquiver l’autorité rigide et l’incarcération auxquelles ils sont condamnés.
Extrêmement bien calée sur la musique et ses nombreuses aspérités, l’écriture chorégraphique de Matthew Bourne suit une mécanique fluide et précise qui jamais ne cherche à refréner la passion et l’émotion. Ses interprètes, très jeunes, très beaux, sont tous pleinement investis et talentueux. Vêtus de tenues simples d’une blancheur à la fois chirurgicale et angélique, les corps exultent, les êtres s’embrassent et s’embrasent, dans une danse physique, tonique, très enlevée, aux gestes aussi bien langoureux qu’affolés, amoureux que désespérés. C’est parfois presque un peu trop démonstratif mais toujours d’une très forte expressivité. La danse révèle en effet le caractère entier, extrême, de cette jeunesse désappointée dont les passions, les pulsions, forcément épidermiques, ainsi que la force de transgression, sont viscéralement exacerbées. Rory Macleod et Hannah Kremer, irrésistibles de charme et d’intensité jouent le couple phare du spectacle mais toute la compagnie serait à mentionner. D’ailleurs, chacun des danseuses et danseurs a cette capacité de pouvoir passer dans tous les rôles selon les représentations.
La célèbre tragédie classique de Roméo et Juliette a évidemment connu maintes et maintes transpositions. Celle-ci, créée en 2019, renouvelle encore son approche jusqu’à son dramatique dénouement réinventé en poignant et sanglant épisode traumatique. Elle se fait à la fois complètement shakespearienne et résolument actuelle.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
Romeo et Juliette
Direction artistique et chorégraphie
Matthew BourneMusique
Sergueï ProkofievDécors et costumes
Lez BrotherstonLumières
Paule ConstableOrchestration
Terry DaviesCréation sonore
Paul GoothuisAssociée à la direction artistique
Etta MurfittAssosciée à la chorégraphie
Arielle SmithRomeo
Paris Fitzpatrick , Andrew MonaghanJuliet
Monique Jonas , Bryony PenningtonTybalt
Danny Reubens , Richard WinsorLa compagnie
Matthew Amos, Tanisha Addicott, Tasha Chu, Carla Contini, Adam Davies, Anya Ferdinand, Jackson Fisch, Cameron Flynn, Euan Garrett, Kurumi Kamayachi, Daisy May Kemp, Hannah Kremer, Kate Lyons, Rory Macleod, Blue Makwana, Leonardo McCorkindale, Eleanor McGrath, Enrique Ngbokota, Harry Ondrak-Wright, Alan VincentPrésenté par New Adventures et Sadler’s Wells
Avec TS3 – Fimalac Entertainment et le Théâtre du ChâteletThéâtre du Châtelet
du 9 au 28 mars 2024
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