Fort d’un solide bilan à la tête du CDN de Valence, le metteur en scène Richard Brunel quitte le théâtre pour se tourner vers le lyrique. Il dirigera à la rentrée de septembre l’Opéra de Lyon tandis que Serge Dorny prendra les rênes du Bayerische Staatsoper de Munich. Pour sa première saison, il présente aujourd’hui un programme de transition qu’il souhaite placer sous les signes de l’ouverture et du sens.
Quel regard portez-vous sur la situation des théâtres et des opéras en France après plus d’un an de crise sanitaire ? Qu’ont suscité en vous les dernières annonces gouvernementales ?
Je suis plein d’espoir pour qu’enfin puissent se déconfiner nos corps et nos imaginations mais je reste prudent. Cette année, les équipes de l’Opéra de Lyon ont travaillé avec ténacité pour maintenir le lien avec le public et les territoires. Elles ont aussi fait face à une succession de déconvenues : les annulations de Benedict et Beatrice de Berlioz puis du Rossignol et autres fables. Les trois opéras du festival 2021 n’ont pu être donnés en public comme plusieurs pièces de ballet pour lesquelles artistes et techniciens s’étaient énormément mobilisés. Le test dernièrement réalisé à Barcelone prouve que le spectacle vivant ne présente pas plus de dangers de contamination massive. La fermeture des établissements culturels a donné l’impression d’un traitement trop dur et injustifié. L’incarnation manque au public. Dans le respect des règles sanitaires, il nous faut désormais retrouver le temps perdu.
Votre première saison sera en effet l’occasion de plusieurs rattrapages puisque seront reprogrammés d’anciens spectacles qui n’ont toujours pas pu rencontrer leurs public. A la satisfaction de présenter enfin ces productions, s’ajoute-t-il un sentiment de frustration quant à l’impossibilité de marquer davantage votre patte de programmateur ?
Rigoletto et Irrelohe étaient prêts alors que survenait le premier confinement. Ces spectacles venaient tout juste de faire leur répétition générale lorsque tout s’est arrêté. J’arrive seulement dans la maison et je suis investi d’une grande responsabilité vis à vis de ces productions, des artistes qui ont énormément travaillé dessus, de l’argent public avec lequel elles ont été montées. Je ne me voyais pas ne pas les reprendre. De plus, d’un point de vue artistique, je me reconnais totalement dans ces propositions. Et puis, je me suis moi-même retrouvé dans la situation de mes collègues puisque ma mise en scène de Shirine de Thierry Escaich était prévue pour le mois de mai 2020 et a été annulée.
Les opéras des XXe et XXIe siècles jalonnent votre première saison. Est-ce un axe qui demeurera une priorité tout au long de votre mandat ?
Bien sûr, j’ai le devoir de continuer à revisiter les œuvres du répertoire et à l’Opéra de Lyon les occasions ne manqueront pas. Par exemple, Tannhäuser n’a pas été joué depuis les années 70, Madame Butterfly depuis plus de vingt ans… Nous avons donc de la matière… Il est également très important de faire découvrir et de créer des œuvres. A l’opéra, des histoires ont peu ou n’ont pas encore été racontées. Il faut convoquer sur scène ces récits manquants. Shirine répond à cette exigence. L’opéra prend pour source une œuvre perse du XIIe siècle ayant subi des tentatives de censure en Iran et réhabilitée aujourd’hui par Atiq Rahimi. Il met en scène une princesse arménienne, grande figure d’émancipation et de modernité dans la mesure où elle refuse le joug de la domination masculine. Le livret très poétique est mis en musique par Thierry Escaich d’une manière extrêmement riche, à la fois complexe et accessible. Une de ses belles idées, fortement symbolique, est d’avoir écrit pour un chœur de femmes qui chantent bouche fermée, bouche cousue même, puis qui recouvrent la parole. Autre création d’envergure plus réduite mais hautement politique : Zylan ne chantera plus dont j’assumerai aussi la mise en scène. Il s’agit d’une forme légère et itinérante. Nous produirons chaque saison une production de ce type dans le but d’aller plus loin pour être plus près. Le livret de Yann Verbugh traitera de l’homophobie. La composition est confiée à Diana Soh.
Une autre dominante de la programmation est justement la présence d’artistes femmes aussi bien à la mise en scène (Katie Mitchell, Deborah Warner) qu’à la composition (Diana Soh) et à la direction d’orchestre…
C’est une telle évidence. Je ne me pose même pas la question. Je réalise cette volonté de façon naturelle, sans en faire un fer de lance et surtout en totale proximité avec les artistes. Plus que la parité, mon travail a pour ambition de représenter toutes les diversités et d’ouvrir la voie à une nouvelle génération d’artistes impactée par la crise.
En revanche, Daniele Rustioni reste au poste de directeur musical de l’orchestre. Comment envisagez-vous votre collaboration ?
Nous allons travailler ensemble jusqu’en 2025. Il dirigera deux productions par an. Des titres italiens qu’il défend avec ardeur mais pas seulement. Il va s’ouvrir à des œuvres de grande ampleur issues du répertoire germanique. Une des prémices de ce tournant sera l’acte du Tristan de Wagner qu’il donnera cette saison en version de concert. Il va également poursuivre son cycle des opéras de Massenet entamé avec Werther pendant le confinement. Il ouvrira la saison avec Manon que chantera Patricia Petibon puis s’attaquera à Hérodiade.
Vous succédez à Serge Dorny et semblez plutôt vouloir vous inscrire dans la continuité, est-ce le cas ?
A plusieurs titres, Serge Dorny a fait de l’Opéra de Lyon une maison d’audace et je ne peux ignorer un tel héritage. Si les tutelles m’ont choisi, ce n’est pas pour faire un pas en arrière mais pour aller encore plus loin ! Il m’importe que la saison à venir soit comme un passage de relais. Je vais reprendre le format du festival qui est un moment intense et privilégié pour l’Opéra de Lyon et vais continuer d’en faire une sorte de passerelle dramaturgique. J’ai placé les opéras de Verdi et Schreker sous le thème des secrets de famille et ai souhaité ajouter une troisième pièce, Nuit funèbre (Trauernacht) montée à sa création au festival d’Aix par Raphaël Pichon et Katie Mitchell sur des cantates de Bach. Celle-ci met en scène l’intime adieu de quatre enfants à leur père et se présente comme une méditation sur le deuil. Je veux aussi proposer des formes nouvelles. A l’initiative de Richard Robert, l’« opéra underground » sera le reflet de toutes les particularités du monde et l’ouverture garantie à d’autres genres, d’autres écritures, plus rares, plus éclectiques. La revisite de Peer Gynt par Elena Schwarz et Angélique Clairand fera s’associer le théâtre et la musique en combinant la célèbre partition de Grieg et plusieurs passages du texte d’Ibsen.
Disciple du regretté Gerard Mortier, Serge Dorny a représenté une certaine vision de l’opéra tourné vers la modernité au mépris d’un certain scandale. Est-ce aussi la conception du genre que vous souhaitez défendre ?
Je ne peux que reconnaître la dimension politique de l’opéra et sa force de transgression. L’Opéra n’est pas un art du passé et doit être en phase avec son temps. Prendre le risque de la création revient à trouver des enjeux qui répondent à une réelle nécessité. Je prends mon poste en tant qu’artiste et directeur, en travaillant en étroite collaboration avec les équipes de l’Opéra de Lyon. Jochen Breiholz qui vient du Theater an der Wien m’a rejoint. Julie Guibert travaille avec moi pour la danse et nous pouvons nous féliciter d’augmenter dès la saison prochaine les levers de rideaux du ballet et de présenter non seulement les chorégraphes qui font l’ADN de la maison (Mats Ek, Forsythe – avec une carte blanche, Kylian…) mais aussi d’inscrire au répertoire Sur la montagne on entendit un hurlement, une pièce rare de Pina Bausch. Aucune compagnie autre que celle de l’Opéra de Paris n’a en sa possession une pièce de la chorégraphe allemande.
Votre nomination a suscité un certain étonnement du milieu lyrique. Aviez-vous anticipé ces réactions circonspectes et assumez-vous d’endosser le rôle d’outsider qu’on vous a attribué ?
L’arrivée de Serge Dorny à Lyon a été plus terrible encore… Et l’héritage qu’il laisse est très conséquent. Dans beaucoup d’endroits, des metteurs en scène de théâtre dirigent désormais des maisons lyriques. C’est le cas au Danemark ainsi qu’en Allemagne où Barrie Kosky (qui montera Falstaff la saison prochaine) a pris la tête de la Komische Oper de Berlin. On ne peut pas plaire à tout le monde. Ceux qui conteste le rôle qui m’a été confié méconnaissent sans doute qui je suis, méconnaissent mon rapport à la musique, mon travail de metteur en scène à l’opéra en France et en Europe, mon rapport à cette maison, au territoire.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
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