A l’occasion de notre dernière création sur Ibsen, qui incluait des artistes norvégiens (le scénographe et costumier Tormod Lindgren, l’assistante et traductrice Solveig Schwartz), nous avons monté un comité de lecture d’œuvres norvégiennes inédites en France et avons découvert plusieurs œuvres, dont cette pièce de Fredrik Brattberg, auteur ayant obtenu un vif succès en Norvège. Nous en avons fait une lecture-spectacle au Préau CDR de Vire et l’accueil enthousiaste nous pousse à monter la pièce. Le spectacle est programmé par un festival européen pour les adolescents, le « Theatre Café », en avril 2014, à Oslo.
Pourquoi monter en appartement une pièce qui marche si bien sur scène ? Parce que tout, dans la structure et le ton de ce texte, peut entrer en résonance avec la situation de proximité et de réel de l’appartement, et ainsi créer une communion, un déplacement collectif, une expérience sensible très forte.
Dans Retours, les personnages alternent scènes dialoguées et adresses au public (peut-être assiste-t-on à une sorte de reconstitution policière ?). L’intimité de ces fréquentes confessions les yeux dans les yeux dérangera… Mais la fausseté des scènes dialoguées hyper-réalistes dérangera peut-être davantage – car comment les accepter dans ce lieu si réel, au milieu autres des spectateurs si visibles, en dehors de toute convention scène-salle ?
La boue, le sang faisant bientôt irruption avec l’enfant par l’entrée de l’appartement, le rapport vorace de celui-ci à la nourriture, bien réelle elle aussi, sortie du vrai frigo, tout cela sera aussi comme un léger blasphème à la fois du théâtre et du lieu de vie qui nous accueille. Mais ces petites violences se mêleront à la délicatesse de dialogues simples, à l’effet d’entraînement de la structure répétitive, au jeu intime qui n’a pas besoin d’être porté pour atteindre son public, à l’humanité d’un propos qui saura toucher sous les accents de la farce.
Tous ces tiraillements, ainsi négociés dans le plus profond respect du public et de nos hôtes, révèleront l’essence même du théâtre et du jeu d’acteur, ce faux qui parle du vrai sans jamais s’y dissoudre. A moins au contraire que l’irréductible vérité du lieu et du public ne transforme le geste des acteurs en quelque chose de fantomatique, d’irréel, révélant le fantastique et la poésie de l’œuvre.
Ce projet scénique, c’est d’abord l’idée pour nous la façon la plus excitante de relever le défi de Brattberg. Mais il se trouve que ce projet répond aussi, à sa façon, au vœu de la compagnie de travailler au plus près de son public. Les lieux qui nous accueillent trouveront ici un moyen de toucher des publics éloignés du théâtre contemporain, de mener une action porteuse à la fois d’un geste artistique fort et d’une création de lien social. Ce rapport scène-salle inédit et frappant sera, du fait de sa pertinence dramaturgique, matière à penser et à parler ensuite – autour, par exemple, d’un buffet où on reconnaîtra les multiples repas de l’enfant revenant.
Expérience intime et sociale, proximité des artistes pendant et après le spectacle : tout cela peut créer l’envie d’entrer plus tard dans un théâtre. Chacun connaît aujourd’hui ces apports du théâtre d’appartement pour un théâtre ou un festival, en complément de sa programmation traditionnelle. Mais il est rare qu’on trouve un texte qui réunisse autant de qualités spécifiques à cette expérience : audacieux formellement, accessible et populaire, tirant profit au mieux du lieu, alors même qu’il n’avait pas été écrit pour cela. Jean-Christophe Blondel
Retours de Fredrik Brattberg
Traduction Terje Sinding
L’Arche Editeur
Avec
Valérie Blanchon
Magne Havard Brekke
Sylvain Levitte
au Volcan – Le Havre
4 au 7 Nov 2014 à 19h30
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