En marge de sa prochaine création, Mars 2037, le metteur en scène organise un atelier à destination des étudiants de la métropole lyonnaise au Théâtre des Célestins. Une douzaine de jeunes femmes y construisent des récits d’avenir. Façon d’échapper, pour un temps, à un présent qui manque cruellement de perspectives.
Qui serai-je en 2037 ? La question est de celles qui filent le vertige à quiconque s’interroge un tant soit peu sérieusement sur son devenir, sans se borner à l’effondrement apocalyptique, à la transe transhumaniste et aux prophéties science-fictionnelles. C’est pourtant la colle que Pierre Guillois a posée à des étudiantes de la métropole lyonnaise, réunies dans le cadre d’un atelier organisé par le Théâtre des Célestins. En parallèle de sa prochaine création, Mars 2037, qui contera, sous la forme d’une comédie musicale, un voyage spatial vers la planète rouge diligenté par « l’homme le plus riche du monde » – alias Elon Musk –, le metteur en scène a demandé à douze jeunes femmes de construire des récits d’avenir. Une gageure, en même temps qu’une bulle d’air, dans une période où les simples lendemains sont devenus incertains pour tous, et plus particulièrement pour les étudiants, à cause de la pandémie de Covid-19. « C’est un pur jeu de l’imagination, une sorte d’exercice impossible », avoue d’ailleurs l’artiste en réponse à Isis, l’une des participantes, qui lance : « Plus j’y réfléchis, plus je me dis que cela n’a aucun sens. »
De sens, le procédé ne manque pourtant pas. D’autant que Pierre Guillois, en fin connaisseur, y est allé avec méthode. Plutôt que de réclamer, de but en blanc, un portrait avec seize ans de plus au compteur, le metteur en scène a invité les jeunes femmes à un cheminement progressif, année après année. « Cette façon de travailler est vraiment belle car elle permet d’appréhender plus concrètement le futur, de se projeter grâce à une forme d’introspection », souligne Rosana, une étudiante en arts du spectacle à l’Université Lyon-II visiblement conquise. Elle donne aussi un bref, et partial, aperçu de l’état de la jeunesse, de ses rêves, de ses attentes, de ses inquiétudes pour elle-même et pour le monde qui l’entoure. Au long des différents récits que les douze participantes égrènent au plateau, se dessine une projection en deux dimensions, où l’avenir intime se mêle au devenir collectif, où la petite histoire se conjugue avec la grande.
Les désirs en embuscade
Dans les mots de Colline, Léa, Inès, Alice, Charlotte et les autres, le contexte global se révèle souvent lourd, voire tragique. Il est question d’une « guerre » survenue en 2026, d’un « changement de la République en dictature », d’un « astéroïde qui s’explose sur la planète », d’un « Covid-30 » accompagné d’un nouveau confinement, de « l’eau qui vient à manquer à cause des 46°C relevés durant l’été 2033 », d’une « prolifération d’algues vertes qui empêchent tout accès à la mer » ou encore de « bateaux de migrants abattus par des milices ». Telle une marée montante, les peurs politiques, climatiques et sanitaires se matérialisent de façon troublante. Malgré tout, elles ne font jamais chavirer totalement les aspirations de cette jeune génération. Quand l’une anticipe « un recentrage de la France sur des valeurs plus belles » en 2031, une autre « un monde débarrassé de la guerre » en 2028, la dernière se voit déjà en train de « réaliser son troisième album » à l’horizon 2032. Car, dans le désordre mondial, l’iceberg intime tient presque toujours bon. Sans éviter les ruptures et autres embûches propres à la vie, les désirs d’enfant, d’amour et les projets foisonnants, en tant que dramaturge, peintre, musicienne ou astronaute, se taillent la part du lion. « Dans un contexte où, avec les cours à distance, nous manquons cruellement de contact humain, cette expérience nous permet de rouvrir le champ des possibles », résume Agnès, elle aussi étudiante en arts du spectacle à l’Université Lyon-II.
En quête, comme sa camarade Rosana, de cette pratique dont elle est actuellement privée à la fac, la jeune femme trouve également son compte dans l’approche scénique pour le moins originale de Pierre Guillois. Bien décidé, au-delà de l’exercice d’écriture, à donner une « réalisation formelle » à ces récits d’anticipation, le metteur en scène compte sur un principe de jeu tiré du Cabaret de carton, qu’il avait monté en septembre dernier, dans les jardins du Théâtre du Rond-Point, avec Olivier Martin-Salvan. Sur le papier, l’idée parait simple : transformer des cartons en écriteaux « qui permettent de raconter tous les lieux dans lesquels on veut évoluer, mais aussi de représenter toutes sortes d’objets dont la narration a besoin comme les vêtements, les animaux ou les éléments », précise l’artiste. A l’épreuve des planches, la concrétisation paraissait, dans les tout premiers jours, plus compliquée pour cette troupe d’amatrices, moins rodées que des comédiens professionnels capables d’immédiatement apprécier la liberté offerte par ce procédé. Ne reste plus qu’à trouver la pédagogie adéquate pour permettre de présenter ce travail à un public. « Qu’il soit imaginaire ou non », prévient Pierre Guillois.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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