Plutôt que de s’attaquer à l’oeuvre originelle de Shakespeare, le metteur en scène se saisit de l’adaptation cousue main par Peter Brook et traduite par Jean-Claude Carrière.
Lundi 8 février 2021. En pleine répétition de La Tragédie d’Hamlet, Guy-Pierre Couleau met la scène des fossoyeurs sur le métier. A l’épreuve du plateau, les comédiens se montrent « hyper inspirés ». « Quelque chose de vraiment très juste se dégageait de ce qu’ils proposaient », raconte le metteur en scène. Tel Hamlet qui ignore encore tout de la mort d’Ophélie, alors que l’on creuse sa tombe sous ses yeux, Guy-Pierre Couleau ne sait pas que l’un des architectes du texte, Jean-Claude Carrière, vient de mourir quelques heures plus tôt. En fidèle compagnon de route, c’est à lui, et à Marie-Hélène Estienne, que Peter Brook avait confié, au début des années 2000, la traduction de son adaptation du chef d’oeuvre shakespearien, dont le metteur en scène s’empare aujourd’hui. « Quand nous avons appris le décès de Jean-Claude le lendemain, nous avons forcément pensé à ce qui s’était passé la veille », glisse-t-il, à demi-mot. Comme si le spectre de Carrière était venu murmurer à l’oreille de ceux qui s’emparaient de la langue qu’il avait façonnée.
Cette langue, Guy-Pierre Couleau n’y est pas tout à fait étranger. En 2018, le metteur en scène était déjà monté sur les épaules du tandem Brook-Carrière pour proposer une nouvelle version de leur Conférence des Oiseaux, créé en 1979 au Festival d’Avignon. « La Tragédie d’Hamlet me permet de poursuivre mon chemin avec l’écriture de Jean-Claude, avec son humanisme, mais aussi avec son génie scénaristique, souligne-t-il. J’aime le recentrage sur la tragédie familiale que Peter Brook et lui ont opéré, leur façon de transformer l’œuvre originelle, dont on sent, partout, les tréfonds, en un long poème d’1h45, leur volonté de chercher un vocabulaire qui, dans une même phrase, mêle le trivial et le sacré. Ce sont des conteurs, des storytellers dirait-on aujourd’hui, qui aiguillent le regard, mais ne dictent rien. » Une liberté que Guy-Pierre Couleau entend bien mettre à profit pour tenter de répondre, à sa façon, au fameux « Qui est là ? » qui clôt l’adaptation de Brook et Carrière, alors qu’il ouvrait la pièce du grand Will. « Tout l’enjeu est de comprendre comment un jeune homme qui a tout pour lui comme Hamlet devient un multi-meurtrier, comment un fantôme peut bouleverser sa vie et celle d’Ophélie », résume-t-il.
La prime aux silences
Pour y parvenir, le metteur en scène a trouvé « son » Hamlet en la personne de Benjamin Jungers – avec qui, hasard du théâtre, il a récemment partagé la scène sur La Vie de Galilée de Claudia Stavisky. Chez cet ex-pensionnaire de la Comédie-Française, Guy-Pierre Couleau a décelé un côté « à la fois enfant et fou » qui sied a priori parfaitement au personnage shakespearien, encore plus central que dans l’œuvre originale. Lui revient, notamment, la lourde charge d’ouvrir le bal avec un monologue qui précipite l’ensemble des protagonistes dans la boîte crânienne d’Hamlet où la tempête fait rage. Guidé avec bienveillance par un metteur en scène qui encourage, plutôt qu’il ne brime, les idées de ses acteurs, il paraît en mesure de jongler avec cet invisible et cet indicible qui, par les silences qu’ils induisent, en disent parfois plus longs que les mots eux-mêmes. « Ce qui me frappe beaucoup chez Hamlet, c’est son côté subversif, cette façon de feindre la folie pour se protéger et mener à bien sa vengeance, précise Benjamin Jungers. Sauf que son arme va progressivement se retourner contre lui et qu’il va être très vite dépassé par son propre plan. »
A ses côtés, figurent un membre de la troupe des origines, Emil Abossolo M’Bo, qui a troqué le rôle de Claudius pour celui de Polonius, mais aussi la comédienne Anne Le Guernec qui retrouve Guy-Pierre Couleau après Le Songe d’une nuit d’été. Aux prises avec le personnage de Gertrude, elle cherche, dans la droite ligne de son metteur en scène, à trouver sa propre voie. « On dit souvent de Gertrude qu’elle est ambigüe car nous la voyons à travers le prisme d’Hamlet, mais je pense qu’elle est surtout tiraillée, assure-t-elle. Elle n’est pas « la mère de » ou « l’épouse de », mais bien une femme entre deux hommes qui veut, malgré tout, avoir une vie de femme. Je cherche à travailler de ce côté-là, sur cette part d’humanité que, souvent, on lui refuse, et qui fait partie de la complexité de la pièce. » Riche en symboles, distillés phrase après phrase par le duo Brook-Carrière, elle impose, peut-être encore plus que d’autres, de se mettre à son écoute et de procéder avec une infinie délicatesse à son endroit. Histoire, comme Hugo le disait du poète, d’avoir « un pied dans la boue, un oeil sur les étoiles et un poignard dans la main ».
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Tragédie d’Hamlet
Texte William Shakespeare
Adaptation Peter Brook
Texte français Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne
Mise en scène Guy-Pierre Couleau
Avec Emil Abossolo M’Bo, Bruno Boulzaguet, Marco Caraffa, Benjamin Jungers, Anne Le Guernec, Nils Ohlund, Thomas Ribière, Sandra Sadhardheen
Scénographie Delphine Brouard
Musiques et son Frédéric Malle
Chorégraphie de combat Florence Leguy
Costumes Camille Pénager
Lumières Laurent Schneegans
Assistante à la mise en scène Mona TerronesProduction Des Lumières et Des Ombres
Coproduction Les Scènes du Jura – Scène nationale
Accueil en résidence Théâtre 13 / Paris, Théâtre d’Auxerre
Avec la participation artistique du Studio d’Asnières-ESCA
Des Lumières et Des Ombres est conventionnée par le Ministère de la Culture.Durée : 1h45
Artistic Théâtre Paris
A partir du 2 octobre 2023
Mar. Jeu. Ven. et sam. à 20h30 – Mer à 17h00
Sam. et Dim. à 17h00
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