Rodolphe Congé porte à la scène une nouvelle de l’auteur américain David Foster Wallace dans une forme simplissime et confessionnelle. Assis sur un fauteuil posé sur le plateau vide, il assume un déballage verbal perturbant à partir d’un fait divers.
« C’est seulement après l’avoir entendue raconter l’épisode de terreur invraisemblable où elle a frôlé la mort après avoir été sauvagement abordée et kidnappée que je suis tombé amoureux d’elle ». C’est sur ces mots que débute le récit. Il s’est avancé lentement du fond noir de la scène, s’est assis, a regardé, scruté même, l’assistance de son regard bleu tranchant, a bu quelques gorgées d’eau mise à disposition, et a commencé à parler, calme, froid, sans emphase, sans émotion.
Elle, c’est une jeune femme rencontrée lors d’une fête. Physiquement attirante bien que plutôt niaise à ses yeux dans sa façon d’entretenir son rapport au monde. Il s’en moque amusé, agacé. Au bout de la nuit d’amour passée chez lui, elle confie une anecdote traumatisante de son existence. Il la relate à son tour usant d’une adresse frontale et directe qui nous suspend à son discours.
Un automobiliste psychopathe fait monter l’autostoppeuse dans sa Chrysler au coffre rempli d’outils de torture, s’écarte de l’autoroute vers un petit coin isolé où il va la violer. Au mépris de la peur et du danger, elle entre en connexion mentale et sensorielle avec son agresseur qu’elle finit par convaincre de ne pas la sacrifier.
L’explication fournie par l’acteur prend d’abord un cadre formellement clinique. Il adopte des mots parfois sentencieux, des attitudes suffisantes, un détachement gênant, étrange, sans compassion, ni empathie, en apparence. L’intérêt de la performance juste et subtile de Rodolphe Congé est de voir comment la distance mise par le locuteur s’estompe à mesure que ses certitudes s’amenuisent. L’homme se révèle véritablement troublé, bouleversé, transformé par le récit. Il impose nécessairement son regard sur l’événement dont il fait part, et semble réduire, refuser le nôtre en ne cessant d’anticiper péniblement les réactions du public qu’il considère hâtivement comme uniforme et dont, selon lui, la sensibilité est entravée par le jugement. Dommage de ne pas le considérer, le public est cueilli, bousculé autant que lui.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
Rencontre avec un homme hideux de Rodolphe Congé
Collaboration artistique • Joris Lacoste
Scénographie et création lumière • Daniel Jeanneteau
Traduction • Julie et Jean-René Étienne
Production : lebeau & associés
Nouvelle issue du recueil Brefs entretiens avec des hommes hideux paru aux éditions Au diable vauvert
avec le festival d’Automne à ParisEtrange Cargo 2018
Ménagerie de Verre
Jeudi 12, vendredi 13 et samedi 14 Avril à 20h30
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