Nouvelle création du collectif Marthe, Rembobiner initie avec énergie et intelligence au travail de la vidéaste féministe Carole Roussopoulos.
À la fin de la représentation de Rembobiner, les spectatrices et spectateurs reçoivent, en sortant de la salle, une feuille A4. En lieu et place du programme habituellement distribué avant le spectacle, ce polycopié en noir et blanc comprend pêle-mêle des dessins (référence aux combats menés actuellement par les femmes en Iran), des photographies de femmes, les titres des films cités comme des œuvres (émissions, livres, etc.) ayant nourri sa création. Il se dit dans ce document sommaire à l’allure de tract ce qui fonde le projet de Rembobiner. Soit la transmission de l’œuvre de Carole Roussopoulos à travers sa réactivation, ainsi que la revendication de la permanence des luttes pour les droits des femmes.
La vidéaste franco-suisse née en 1945 et décédée en 2009 – à laquelle un autre spectacle, Delphine et Carole, est actuellement consacré – est une figure essentielle du féminisme des années 70. Pionnière de la vidéo en France, elle créa avec son compagnon Paul dès 1970 le groupe Video Out avant de former quelques années plus tard le collectif Les Insoumuses avec Delphine Seyrig, Ioana Wieder et Nadja Ringart. C’est à travers des extraits de ses films – elle en réalisa plus de cent-vingt – que le collectif Marthe brosse le portrait de cette femme. Pour ce faire, l’équipe opte pour une forme directe et efficace.
Lorsque le public prend place dans la salle les deux comédiennes (Aurélia Lüscher et Itto Mehdaoui – en alternance avec Marie-Ange Gagnaux et Clara Bonnet) sont déjà là. Toutes lumières allumées, la scène à vue avec divers modestes éléments (drap, tabouret, quelques costumes et banderoles) et « leur » matériel de projection à l’avant du plateau (ordinateur, vidéo-projecteur, lampe de bureau), elles nous accueillent. Après avoir succinctement exposé leur projet « on est là pour vous proposer une traversée de certains films de Carole Roussopoulos » le noir se fait dans la salle. En une heure et en introduisant chaque séquence, le duo raconte, rejoue, enrichit les films choisis : Le F.HA.R. (Front homosexuel d’action révolutionnaire), Y’a qu’à pas baiser, Sois belle et tais-toi, Profession Conchylicultrice, Les Travailleuses de la mer, Paroles d’assistantes maternelles, Monique – LIP I, etc.
Ayant recours à la projection vidéo et à la diffusion sonore, passant de l’incarnation à la distanciation, commentant toutes leurs actions, les comédiennes jouent à loisir de l’écriture en direct sur le médium vidéo. Ainsi – comme le faisait les Insoumuses elles-mêmes – elles interviennent sur des images, les détournant et les parodiant en direct. Si dans ses premières minutes Rembobiner s’affirme comme didactique, le spectacle prend rapidement d’autres chemins de traverse. Pérégrination stimulante et ludique, il déplie par l’itinéraire de Roussopoulos la rencontre entre le féminisme et le cinéma militant et expérimental, et la naissance d’une pratique vidéaste aussi autonome qu’engagée sur tous les fronts. Autonomes quant au reste du cinéma – et la lecture de l’échange épistolaire entre Jean-Luc Godard et Roussopoulos raconte bien le gouffre séparant ces mondes – ; les vidéastes féministes ont raconté les luttes (droit à l’I.V.G., luttes ouvrières, luttes des homosexuels et lesbiennes, etc.) et ont, plus largement, réalisé des portraits de femmes témoignant du patriarcat. Ce partage d’expériences est prolongé jusqu’à aujourd’hui, certaines séquences proposant les témoignages d’Itto Mehdaoui sur sa vie.
À l’instar de la vidéo facilement praticable avec l’avènement des fameuses « portapak » de Sony, caméras légères, peu coûteuses, discrètes et aisément diffusables sur des écrans de TV, le spectacle épouse cette économie de moyens, usant avec ingéniosité de simples artifices pour déployer son propos. La séquence reprenant Y’a qu’à pas baiser est à ce titre particulièrement saisissante, par sa métaphorisation subtile et délicate de l’avortement réalisé dans le film. Si lorsque Rembobiner se termine l’on se prend à regretter que le spectacle ne prolonge et ne creuse pas plus avant encore son propos, cette création est aussi à prendre telle qu’elle s’énonce formellement : un tract percutant, court et incisif permettant d’approcher le travail de Carole Roussopoulos – et chacune et chacun pourra à sa guise choisir d’aller y voir de plus près. Et puis, aussi, un spectacle énergique et rondement mené par son duo d’interprètes et conceptrices où se dit avec puissance la persistance de luttes à mener.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Rembobiner
Collectif MartheMise en scène, jeu et écriture : Marie-Ange Gagnaux et Itto Mehdaoui
Collaboration artistique : Clara Bonnet
Regard extérieur : Aurélia Lüscher
Régie générale, son et image : Clémentine Pradier
Création silhouettes et postiches : Cécile KretschmarCréation son : Benjamin Furbacco
Coproductions et accueils en résidence : Théâtre du Point du Jour – Lyon, MC2: Grenoble, Théâtre des 13 Vents – CDN de Montpellier, Scène Nationale 61 – Alençon,
Création tout public à partir de 15 ans. Spectacle hors-les-murs et en salle.
Durée 1h
du 26 janvier au 3 février 2024 (hors le 28)
Théâtre Public de Montreuil – CDN (en décentralisation)du 9 au 12 avril 2024
Maison-Théâtre d’AmiensLes 26 et 27 avril 2024
Théâtre de la Bastille (en décentralisation)
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