Dans Real Magic, le collectif britannique Forced Entertainment transforme un carcan textuel tragi-comique en terrain de jeu. Un concept détonnant au résultat inégal.
Quelle est la probabilité de retrouver un mot auquel une personne pense sans autre espèce d’indice ? Moins d’une chance sur 200.000 si le défi est lancé en anglais – soit 10 fois plus de chance que de décrocher la super-cagnotte du Loto. Un brin absurde, ce jeu constitue la base du dernier spectacle du collectif Forced Entertainment, Real Magic. Piégés dans un tragi-comique de répétitions inspiré des plus mauvais jeux télévisés, Claire, Jerry et Richard répètent des dizaines de fois la même scène : un candidat dispose de trois essais pour retrouver le mot auquel pense l’assistant d’un présentateur. Incarnant tour à tour les trois rôles, ils sont à chaque fois confrontés au même constat d’échec tels des Sisyphes qui rouleraient inlassablement leur rocher.
Dans la veine de l’écriture oulipienne, Forced Entertainment expérimente le théâtre sous contraintes. Comme dans la pure tragédie les règles instaurées ne semblent pas pouvoir se briser : impossible d’avoir un quatrième essai, impossible de tricher – malgré les tentatives insistantes du présentateur ou de l’assistant pour souffler la bonne réponse. Dès lors se dégage un sentiment d’impuissance face à un système qui reste intangible et épuise ceux qui souhaiteraient le changer.
Sans l’habituelle narration, ne restent que le jeu et ses variations. Alors que la même situation se répète ce n’est pas tout à fait la même scène qui est jouée. Tantôt excité tantôt déprimé, le candidat fait face à un présentateur machiavélique ou supporter et à un assistant sur-investi ou dilettante. L’importance du texte s’effaçant au profit du jeu, Jerry Killick, Richard Lowdon et Claire Marshall ont tout le loisir de démontrer leur talent de comédiens.
Mais, construit à partir d’une écriture de plateau, le spectacle se révèle très inégal. Les scènes drôles et bien senties alternent avec des moments plus creux qui accumulés font naître un sentiment de lassitude. Peut-être le collectif britannique aurait-il dû oser aller encore plus loin dans son expérience de jeu, encore plus avant dans l’absurde pour repousser les frontières du théâtre jusqu’au délire et faire naître un réel sentiment de malaise qui dans le cas présent ne fait que poindre, et laisser au milieu du gué.
Forced Entertainment
Real Magic
Mise en scène, Tim Etchells
Conception et interprétation, Jerry Killick, Richard Lowdon et Claire Marshall
Avec la contribution de Robin Arthur et Cathy Naden
Lumières, Jim Harrison
Scénographie, Richard Lowdon
Musique électronique et montage son, John Avery
Loops, Tim Etchells
Grave, issu de la Fantaisie nº1 en si bémol majeur de Telemann (interprétation Aisha Orazbayeva)
Production Forced Entertainment // Coproduction PACT Zollverein (Essen) ; HAU Hebbel am Ufer (Berlin) ; Künsterlhaus Moustonturm (Francfort-sur-le-Main) ; Tanzquartier Wien ; Attenborough Centre for the Creative Arts – University of Sussex et the Spalding Gray Consortium – On the boards (Seattle) ; Performance Space 122 (New York) ; Walker Art Center (Minneapolis) ; The Andy Warhol Museum (Pittsburgh) // Coréalisation Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris // Spectacle créé le 4 mai 2016 à PACT Zollverein (Essen)
Durée: 1h25Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Bastille
18 au 24 septembre 2017
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